Propos recueillis par Marco Polisson et Margaux Nourry – Après un demi-siècle à la tête des laboratoires Boiron, Christian Boiron continue de prendre soin des autres (et accessoirement de lui-même) par le biais des réseaux sociaux. A 77 ans, il a conservé sa liberté de parole dont il fait usage aujourd’hui, avec humour et fermeté, au sujet de sa « débaptisation » par la faculté de médecine de Lyon I. Un bonheur rare de le retrouver à Sainte Foy Les Lyon pour un entretien exclusif.
LP : Vous avez dirigé l’entreprise jusqu’au 1er janvier 2019. Que devenez-vous ? Et qu’avez-vous fait ces six dernières années ?
Christian Boiron : J’ai mis trois ans à me défaire des 50 ans que j’ai passés chez Boiron. Pendant un demi-siècle, je n’ai fait que ce que je voulais faire et vivais Christian Boiron 24h/24. Cela m’a pris du temps de réussir à me déconnecter de l’entreprise et à penser à autre chose. Maintenant je n’y pense plus car je travaille sur d’autres projets et je cause fréquemment sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok. Ça m’intéresse, ça m’amuse parce que c’est cohérent par rapport à ce que je faisais avant. Ça me détend et ça m’amène à ne pas être interventionniste dans la gestion de l’entreprise.

Christian Boiron a eu les honneurs de Loopsider. Sa chaine TikTok baptisée « Boiron Bonheur » compte 219 000 followers
Les Laboratoires Boiron ont traversé une période très difficile à cause du déremboursement de ses produits par la sécurité sociale. Comment avez-vous vécu, à titre personnel, ce tsunami ?
Cela a été difficile, je me suis battu toute ma vie contre ce tsunami. Cela a été mon problème. Mon père et mon oncle ont été confrontés à ça dans une moindre mesure : on n’essayait pas de tuer l’homéopathie, on ne savait pas qu’elle existait ou qu’il y avait un homéopathe à Lyon. C’est venu petit à petit. Nous avons développé l’homéopathie et, par conséquent, nous avons été contrés et critiqués. On nous a toujours dit qu’il n’y avait pas de recherche en homéopathie. Mais c’est totalement faux, il y en a toujours eu. Nous sommes obligés de nous appuyer sur deux choses. Premièrement, nous constatons que, globalement, l’homéopathie fonctionne, à peu près autant que l’allopathie. Deuxièmement, nous ne savons pas comment elle marche, nous ne pouvons toujours pas comprendre le mécanisme d’action de ces médicaments infinitésimaux.
Avez-vous pensé que cela pouvait tuer l’entreprise ? Avez-vous craint qu’elle aille au dépôt de bilan ?
Non. D’abord, ce n’est pas mon style d’avoir peur. Depuis que je suis entré dans l’entreprise, je suis dans une atmosphère où cette problématique est au-devant du chemin en permanence. Les risques n’ont jamais cessé. Quand je suis arrivé dans l’entreprise, mon père commençait à mettre sur le marché des produits cosmétiques car il craignait d’être déremboursé et que l’homéopathie soit foutue en l’air. Je suis comme lui, nous sommes des joueurs, c’est-à-dire que nous nous battons. Nos adversaires n’ont pas démontré qu’elle ne fonctionnait pas mais qu’elle gênait un certain nombre de personnes.
Avez-vous manqué d’appuis au sommet de l’Etat ?
Nous avons eu un président, Emmanuel Macron, qui n’a pas voulu nous rencontrer, qui ne s’est pas intéressé à ça. Ce n’était pas son problème mais celui de la ministre de la Santé. Elle s’est défaite puis il l’a défaite mais elle en a profité pour dérembourser. Moi je n’étais plus là, j’ai essayé d’intervenir mais on m’a mis dehors, il était trop tard. Mais je pense que si j’avais été là, peut-être qu’à ce moment-là j’aurais pris la même baffe que la DG de l’époque, Valérie Lorentz-Poinsot.
Dans le même temps, ce malheureux épisode s’est doublé de la crise du covid…
En effet, en même temps, la crise du Covid nous a impactés. C’est lui qui a foutu en l’air l’homéopathie parce que les gens voulaient se faire vacciner, pas autre chose. Ils utilisaient de moins en moins de médicaments. C’était un problème pour les allopathes autant que pour les homéopathes. A cela s’ajoute une transformation totale du métier de médecin : ce sont maintenant des non-médecins qui contrôlent la médecine.
Malgré ces crises, les laboratoires Boiron ne sont pas partis en fumée. Encore mieux, ils se sont lancés dans le cannabis ! Vous avez fumé la moquette ?
La question est de savoir si on peut faire autre chose que de l’homéopathie dans une entreprise homéopathique. Et je pense que non. Une entreprise d’homéopathie doit faire de l’homéopathie. La première chose que j’ai faite quand je suis arrivé à la tête de l’entreprise a été d’enlever tout ce qui n’était pas de l’homéopathie et que mon père avait mis en place par peur de la disparition de cette médecine.
Mais aujourd’hui Boiron s’est donc remis à faire autre chose. Cela vous perturbe-t-il ?
Perturbé, c’est beaucoup dire. Je ne suis plus perturbé par les évolutions de l’entreprise. Mais je ne la connais pas suffisamment, car je ne suis plus dedans. L’entreprise, il faut être à l’intérieur, pour la vivre au millimètre. Concernant le cannabis thérapeutique, je vais voir. Mais je pense qu’à moyen terme ce n’est pas viable parce que nous voyons en permanence que nous sommes contrés par des entreprises concurrentes. C’est la guéguerre classique : dès que nous ferons autre chose que de l’homéopathique, nous serons attaqués sur des choses que nous ne connaissons pas. Je n’ai pas encore rencontré le nouveau patron Pascal Houdayer (photo ci-contre) alors quand ce sera fait, j’aurai une idée plus claire de ce qu’il veut faire et lui donnerai un certain nombre de positions. Pour le moment, il faut voir.
Également dans l’actualité, vos relations avec Lyon I. En 2009, Boiron finance à hauteur de 500 000 euros la rénovation du plus bel amphi de la faculté de médecine Lyon Sud où se tiennent les conférences, colloques et rentrées solennelles. Qui a initié cette opération de naming : la faculté ou votre laboratoire ?
Il s’agit de la faculté. Au début des années 2000, ses patrons sont venus me voir pour me demander d’intégrer son conseil d’administration. Je me suis dit : « C’est fou, mon père en serait très fier, pourquoi pas ». Quelques années plus tard, ils reviennent me trouver parce qu’ils avaient un problème. Ils ont été clairs, ils avaient besoin de notre argent : « Est-ce que vous seriez prêt à nous aider pour faire notre troisième amphithéâtre ? Nous en avons besoin mais nous n’avons pas les fonds nécessaires. » Je me suis à nouveau dit que c’était fou mais nous pouvions le faire, alors nous l’avons fait. C’est à ce moment-là que j’ai l’idée de l’appeler Boiron. Cela n’a pas posé de problème pour la faculté. Il n’y avait pas mort d’homme mais c’était une grosse somme. Nous avons fait quelque chose de très artistique, à la Christian Boiron. J’étais très content du résultat et j’imaginais davantage utiliser l’amphithéâtre pour l’entreprise. Ça n’a pas été le cas.
On a récemment appris que l’Université Claude Bernard Lyon I a l’intention de gommer le nom Boiron de ce grand amphithéâtre situé sur le campus de Lyon Sud à Oullins Pierre Bénite… « Cette démarche vise à uniformiser la désignation des amphithéâtres à travers une numérotation cohérente » nous précise sa directrice de la communication. Info ou intox ? Que pensez-vous de cette première réponse ?
Ce n’est clairement pas une réponse de médecin mais de personnes qui dirigent. C’est une réponse ridicule qui relève de cette volonté de tout uniformiser. Comme si on faisait la même médecine dans chaque faculté. Ce sont des médecines différentes car ce sont des médecins différents qui parlent et enseignent. La médecine n’est pas une donnée uniforme. On ne veut pas des facultés identiques. Si c’était le cas, il faudrait supprimer les médecins, mettre des robots, etc. Je pense que c’est ce qu’ils visent à faire : supprimer les médecins des amphithéâtres.
En 2011, quand le bâtiment est inauguré, l’Université Lyon 1 annonçait en grande pompe la signature d’une convention de partenariat avec vos laboratoires : « La question de l’homéopathie est un sujet exemplaire car Rhône-Alpes est leader mondial dans ce domaine, et un énorme travail scientifique reste à accomplir » rapporte le site Egora (la voix des médecins sur internet, ndlr). Vous-même avez, par la suite, donné des cours dans cette université. Que s’est-il passé dans cet intermède, depuis 2011 pour qu’on en arrive là ?
Chacun a une vision différente. Il ne s’est rien passé de spécial ou de plus que ce qu’il s’était passé avant. Même quand je suis venu donner des cours, autres que d’homéopathie d’ailleurs, on me regardait d’un air bizarre. Mais à partir du moment où j’étais sage et que je ne parlais pas d’homéopathie, il n’y avait pas de problème. Et j’ai toujours fait en sorte, qu’il n’y en ait pas. Je n’avais pas de raison de donner un coup de pub pour l’homéopathie alors que j’avais accepté d’enseigner autre chose.
A quel moment vos relations se sont-elles dégradées ?
A aucun moment. Elles n’ont jamais été rayonnantes. Les étudiants et professeurs venaient à la faculté, voyaient Christian Boiron mais cela ne changeait rien pour eux ni ne leur posait de problème. Nous leur avions construit une belle fac. Il y avait peu de gens qui râlaient à l’extérieur comme cela a commencé à venir quelques années plus tard. Un jour où j’étais présent à Lyon I pour enseigner, un journaliste était présent avec l’envie manifeste de secouer le cocotier. Devant moi, il s’adresse au patron de la faculté : « Ça ne vous dérange pas d’avoir un homéopathe chez vous ? » Cela tombait mal parce qu’au cours de cet intermède, un cours d’homéopathie venait d’être donné par un médecin qui n’y connaissait rien. J’étais mal parce que moi je n’étais pas là pour en donner. Mais je suis quand même intervenu parce qu’il avait dit tellement de bêtises que j’ai dû rectifier deux, trois choses. J’ai dû parler pendant dix minutes avant de partir donner mon cours. Et ce journaliste a raconté que je faisais des cours d’homéopathie, alors que non.
Le site Egora indique que l’UFR souhaite aujourd’hui « gommer ce lien gênant avec l’industriel ». Ce que confirme la dircom à Lyon People : « Une réflexion sur cette dénomination est effectivement en cours, en réponse aux évolutions réglementaires des liens entre les facultés et l’industrie pharmaceutique, conformément aux recommandations de la charte d’éthique et de déontologie de la Conférence des doyens de 2017. » Quels sont ces liens ? De quoi parle-t-elle ?
Entre l’industrie pharmaceutique et les facultés, il y a des liens gênants permanents puisque les cours portent sur les médicaments allopathiques et non homéopathiques. On n’en parle jamais. Quand j’étais à la fac de pharmacie, j’ai appris la pharmacie allopathique. Avec l’homéopathie, il n’y a pas de liens gênants. Mais avec l’allopathie, si, depuis le début. Mais c’est normal, les étudiants en médecine sont bien obligés de connaitre les médicaments pour exercer !
S’il n’y a pas de liens gênants entre l’homéopathie et la faculté, comment expliquer cette volteface ? Etes-vous triste ou en colère ?
Je m’en fiche complétement. Mais je trouve toujours désagréable d’entendre proclamer des faussetés à l’envi. Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage ! Je serais bien mal d’être triste, je connais Lyon I, cela ne vient pas de la faculté en elle-même, c’est un « machin » dans Lyon I. Je connais ses médecins, ils ne sont pas concernés par cette triste histoire. Moi, ce qui m’intéresse c’est ce que nous allons faire dans tous les pays du monde pas à Lyon, parce qu’un type a pris peur de l’homéopathie. C’est une méchanceté idiote qui ne me fait pas mal parce que ça vient de si bas.
Avez-vous été avertis par la faculté de médecine Lyon I de cette décision ?
Non. C’est sorti dans la presse avant que je le sache. C’est grotesque et ridicule. C’est de la méchanceté gratuite.
C’est d’une indélicatesse rare, en effet. Paradoxalement, il se trouve que la faculté de médecine Lyon Sud porte le nom de… Charles Mérieux, patron des laboratoires Mérieux. L’industriel qui a internationalisé les laboratoires Mérieux va-t-il également être déboulonné ?
Je crois qu’il a donné trop d’argent pour être déboulonné (rires). Et puis la faculté a pris son nom après son décès. Pour ma part, je n’ai pas choisi de mettre mon nom, Christian Boiron, sur l’amphithéâtre mais simplement Boiron. Peut-être le rebaptiseront-ils « Christian Boiron » quand je serai mort ! (Rires)
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