Toques Blanches lyonnaises. Une messe pour remettre l’Eglise au centre du village gastronomique

16 novembre, 2025 | Actualités Gastronomiques | 0 commentaires

Texte : Marco Polisson – Fruit d’une belle rencontre initiée par Colette Sibilia entre le père Patrick Rollin, et le chef Christophe Marguin, une messe a été célébrée le 10 novembre pour les Toques Blanches Lyonnaises en la Chapelle de l’Hôtel-Dieu.

Une messe pour et avec les cuisiniers ? Petit pari, certes, mais pari tout de même que de remettre l’église au centre du village gastronomique lyonnais. Comment cette initiative allait-elle être perçue dans un secteur d’activités déchristianisé, bien que son chef emblématique ait été baptisé « le pape de la gastronomie » (lire son testament ici).

Une chapelle bien garnie

A l’arrivée, une douzaine de chefs en grand uniforme, et une chapelle de l’Hôtel-Dieu bien garnie. De quoi clouer le bec à ceux qui auraient été trop heureux de tirer sur l’ambulance. Une assistance nombreuse, en majorité féminine (on se demande bien pourquoi), et recueillie à l’écoute d’un curé qui donne envie.

« Jésus nous donne sa parole en nourriture, et ce n’est pas un étouffe-chrétien »

Le père Patrick Rollin (ci-dessus) n’a pas boudé son plaisir. « Ce matin, ce n’est pas vous qui avez préparé la table. Vous êtes les invités. Alors maintenant, passons à table avec Dieu, car la question de manger, de bien manger, est pour lui, comme pour nous, loin d’être une question annexe. C’est même une des questions essentielles, une question vitale ! »

Des saints patrons mis à contribution

Et d’enjoindre « Saint Antoine, patron des charcutiers, Saint Vincent, patron des vignerons, Saint Amand, patron des brasseurs et cafetiers, Saint Pierre, patron des pêcheurs et des poissonniers, Saint Laurent, patron des rôtisseurs, des restaurateurs, Saint Michel, patron des biscuitiers, Saint Nicolas, patron des confiseurs » de prier pour chacun des membres de l’assistance.

A la fin de la cérémonie, le recteur de Saint Bonaventure et de Saint Jean a confié à la prière de Notre Dame de Fourvière nos restaurateurs disparus (notamment Daniel Abattu) et ceux qui nous régalent le corps et l’esprit, chaque jour que Dieu fait, dans leurs établissements. Une première réussie qui sera reconduite l’an prochain.



Messe des Toques Blanches Lyonnaises
Homélie du père Patrick Rollin

Évangile Marc 2, 13-17 : « Comme Jésus était à table dans la maison de Lévi, beaucoup de publicains et beaucoup de pécheurs vinrent prendre place avec Jésus et ses disciples, car ils étaient nombreux à le suivre… » Et bien ce matin, passons, nous aussi, à table avec Jésus. Oui, que de repas dans la Bible. Et que de richesse symbolique en chacun d’entre- eux. Dieu se révèle dans l’acte même de manger. Manger est sacré. C’est dire tout ce que l’on gagne à savoir bien manger et ce que manger veut dire.

Je m’adresse aujourd’hui à des toques blanches, pour qui l’art de bien manger à Lyon est quasi un geste sacré !

Tablier de sapeur, cervelle de canut, saucisson pistaché, grattons, sabodet, clapotons, bugnes, mâchon, bouchon, « poularde demi-deuil » de la mère Brazier… et j’en passe… Oui, derrière tous ces termes, un fumet particulier flotte dans la mémoire olfactive et gustative des amateurs de bonne chère et qui nous ramène instantanément, dès que ces mots sont prononcés, sur les rives de la Saône et du Rhône… en passant des « mères », la mère Guy, la mère Brazier aux chefs étoilés, l’empereur Bocuse.

Lyon, fière de son titre, de « capitale de la gastronomie », vous les toques blanches d’aujourd’hui, vous continuez à assurer la réputation de notre ville dans l’art du bien manger. Un art qui remonte à l’Antiquité, à la Renaissance où Erasme, Rabelais évoquaient le plaisir de leurs agapes et rivalisaient de superlatifs pour prolonger les doux moments de leurs ripailles lyonnaises. Et des siècles plus tard, un aimable farceur ira même jusqu’à prétendre que le brouillard qui a si longtemps nimbé les rues de lyon venait des vapeurs sorties des casseroles et des cuisines.

Les toques blanches, vous faites partie de cette génération qui a gardé vivante cette tradition de la gastronomie lyonnaise, et non seulement vous entretenez la flamme mais vous travaillez à renforcer son image en inventant de nouveaux mets. Il suffit de s’aventurer le matin dans les Halles Paul Bocuse, au cœur du quartier de la Part-Dieu, dévolues aux plaisirs de la bouche, dans un appétissant méli-mélo de salé-sucré, de cochonnailles et de friandises, pour mesurer au coude à coude, la réalité de ce que manger veut dire selon la devise de la plaisante sagesse lyonnaise : « Au travail, on fait ce qu’on peut ; à table, on se force. »

Et bien ce matin, ce n’est pas vous qui avez préparé la table. Vous êtes les invités.

Alors maintenant, passons à table avec Dieu, car la question de manger, de bien manger, est pour lui, comme pour nous, loin d’être une question annexe. C’est même une des questions essentielles, une question vitale ! Cela peut surprendre les plus mystiques d’entre-nous qui ont en mémoire ces mots de la Bible : « l’homme ne vit pas seulement de pain mais de tout ce qui sort de la bouche de Dieu » (Dt 8, 3) C’est vrai, bien sûr, sauf que tout est dans le « seulement », l’homme ne vit pas « seulement » de pain. Un signe ?

Souvenez-vous, lors de l’exode à travers le désert, son peuple éprouvé par la faim, Dieu ne l’a pas rassasié de beaux discours, il lui a donné la « manne », cette mystérieuse nourriture descendue du ciel chaque matin comme une rosée. Dans la foi, il y a donc bien un réel enjeu de manger, de bien manger. Un enjeu tel que dans les évangiles, il est beaucoup plus question de manger que de prier. Jésus y mange beaucoup plus qu’il n’y prie.

Est-ce à dire alors, que le repas est un lieu où Dieu se dit ? Sûrement ! Pour peu que nous soyons attentifs à la question telle qu’elle est posée dans l’évangile de ce jour. « Comment, Jésus mange avec les publicains et les pécheurs ! » Jésus en effet use de sa liberté et de son autorité, pour s’attabler avec Lévi, un percepteur de taxe ayant partie liée avec l’occupant romain. Les scribes n’en croient pas leurs yeux. L’objet de leur stupéfaction n’est pas le menu, la nature des aliments « que mangez-vous là ? » mais l’objet du délit, c’est avec qui.

Quoi ? il mange avec … Oui, passer de la question « que manges-tu ? » à « avec qui manges-tu ? » là est l’enjeu. Le sempiternel « qu’est-ce qu’on mange ? » résonne quotidiennement dans nos têtes et nos maisons, alimente des milliers de blogs et de magazines. Mais il ne doit pas nous faire oublier le véritable enjeu de la table, celui de la relation, du partage et de l’hospitalité.

Inutile de relire la Bible dans sa totalité. Il suffit, pour chacun, de regarder sa propre histoire.

C’est au cours de repas avec d’autres que des histoires se tissent, que des alliances se font et se défont, que se consomment des ruptures, mais aussi des réconciliations… L’enjeu du repas, d’un bon repas, d’un festin, n’est pas seulement de remplir nos estomacs, mais de rassasier, de nourrir nos appétits de relation, de communion.

Sur toutes les tables que nous ouvrons au partage, sans calcul ni sans faux prétextes, simplement pour être là, ensemble, les uns avec les autres… nous consentons à entrer dans l’Alliance avec Dieu. Autant dire qu’à table le Christ nous invite à lever le nez de notre assiette, pour regarder non seulement ce qu’elle contient, mais avec qui nous la partageons.

Alors St Antoine, patron des charcutiers, st Vincent, patron des vignerons, St Amand, patron des brasseurs et cafetiers, st Pierre, patron des pêcheurs et des poissonniers, st Laurent, patron des rôtisseurs, des restaurateurs, st Michel, patron des biscuitiers, st Nicolas, patron des confiseurs, priez pour nous car aujourd’hui, pour chacun de nous, le repas garde une place essentielle : « Dis-moi comment tu manges, et je te dirai qui tu es. » Amen !

<a href="https://www.lyonpeople.com/author/marco" target="_self">Marco Polisson</a>

Marco Polisson

Rédacteur en chef
Co-fondateur du magazine.
En charge de la rédaction et responsable des partenariats.
Délégué à la protection des données RGPD

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Cliquez ici pour SIGNALER UN ABUS
Vous pouvez nous adresser un email afin de signaler un contenu. Merci de préciser l’adresse de la page dans votre email. Votre signalement sera pris en compte au plus tôt.

Aujourd’hui

dimanche 16 novembre

Sainte Marguerite


 

Recevez la newsletter

Restez informé en temps réel !

View More Results…