La destruction du commerce lyonnais analysée et vécue par Jean-Sébastien Veilleux

15 mai, 2025 | Actualités économiques | 0 commentaires

Propos recueillis par Morgan Couturier – Représentant de 6000 commerçants indépendants en Auvergne-Rhône-Alpes, le président régional de la Fédération nationale de l’habillement se livre sans filtre sur la situation actuelle du commerce lyonnais. Gérant des magasins La Canadienne, Jean-Sébastien Veilleux le sait et le vit, la politique des écologistes nuit gravement à la santé financière de bon nombre de ses confrères. En particulier en Presqu’île.

Vous êtes monté au créneau pour signaler la situation des commerces d’habillement du centre-ville de Lyon. Peut-on chiffrer cette crise en termes de chiffres d’affaires et de fréquentation ?
Ce n’est pas évident, parce qu’il y a de vrais écarts, en fonction des enseignes et en fonction des rues. Je dirais que le scénario le plus positif, c’est du maintien de chiffre d’affaires. On voit ensuite une grosse masse qui est entre -15 et -30% de CA. Globalement et dans la Presqu’île particulièrement, il y a un vrai problème d’affluence la semaine. À l’inverse, le samedi, il faut avouer qu’il suffit d’aller en Presqu’île pour voir qu’effectivement, il y a quand même du monde.

Rue Mulet, les bennes et containers des travaux dissimulent entièrement les façades des boutiques – Photo © Margaux Nourry – Lyon People

Dans les mêmes proportions qu’avant ?
Je pense qu’en termes de quantité, c’est comparable. En revanche, en termes de profil de visiteurs, ce n’est pas la même chose. On a moins d’acheteurs et plus de promeneurs ou de touristes. On a donc moins de personnes qui viennent spécifiquement faire leurs courses en Presqu’île.

On suppose que les acheteurs encore présents ne compensent pas la baisse de la fréquentation ?
Non ! En Presqu’île, le samedi reste une journée où l’on fait la semaine, ça c’est sûr. Par rapport au monde que l’on peut voir, le profil des personnes qui s’y baladent, a changé. Il n’est plus du tout le même qu’avant. Ça rend la situation complexe…

Même les commerces historiques, que l’on pensait intouchables, sont menacés de fermer. C’est d’autant plus inquiétant ?
Oui, c’est inquiétant, parce que le risque, c’est que l’on se dirige vers une Presqu’île stéréotypée avec des enseignes nationales que tout le monde connaît et rien d’autre. C’est dommage parce que la richesse d’une ville, c’est quand même son commerce indépendant. Si ce n’est que pour avoir des enseignes nationales et dupliquer les centres-villes, ça n’a pas beaucoup d’intérêt.
C’est dommage de ne pas prendre en compte cette notion de commerces indépendants. Elle aurait pu être prise en compte dans tous les projets commerciaux. Mais là, ce n’est pas que la mairie actuelle, c’est depuis toujours. On aurait pu réserver des mètres carrés sur des projets tels que l’Hôtel Dieu ou Confluence, en disant, on veut une partie dédiée aux indépendants et pas uniquement aux grosses enseignes. Je l’ai proposé à l’époque, mais ça n’a jamais été fait !

« Il suffit de discuter avec n’importe quel commerçant pour se rendre compte que tout est difficile »


Les élus de la Ville de Lyon réfutent l’idée d’un impact négatif des travaux sur l’activité des commerçants. Sont-ils dans le déni ?

Je pense qu’ils ne se placent pas sur la même échelle temporelle. Leur réponse est de dire qu’à terme, la ville sera plus attractive et donc plus intéressante pour les commerçants.

Ce ne serait qu’une mauvaise période à passer ?
On peut entendre cette position, mais dire aujourd’hui que ce qui se passe en Presqu’île n’est pas impactant pour le commerce, cela n’est pas possible ! C’est juste un constat de réalité. Sans creuser les chiffres d’affaires, il suffit de discuter avec n’importe quel commerçant pour se rendre compte que tout est difficile. Après, est-ce que c’est un mal pour un bien ? Est-ce que ce sont des œufs que l’on casse pour faire une belle omelette demain ? Je ne sais pas répondre à cette question.

Néanmoins, les commerçants, comme vous, vont-ils réussir à résister jusqu’à la fin des travaux ?
Ce que je regrette, c’est qu’il n’y ait pas d’accompagnement par rapport à cela, de la part de la Ville de Lyon. Elle en a les moyens, vu les sommes qui sont en jeu. Il y a des endroits où cela a été fait. Dans une ville comme Annemasse, qui est plus petite, mais où il y a de très gros travaux, des budgets ont été mis en place par la Ville et l’agglomération pour accompagner environ un tiers des pertes d’exploitation des commerces qui sont le plus touchés par la transformation de la ville. C’est budgété et c’est mis en place ! Ce n’est qu’une partie, mais c’est déjà un accompagnement !

Travaux avec suppression d’une voie automobile et de stationnements, place Antonin Gourju x place Bellecour – Photos © Margaux Nourry – Lyon People

Sur ce point, beaucoup de vos confrères réclament des dédommagements, mais ces demandes ne sont jamais suivies d’effets…
Effectivement ! Je trouve cela dommage. Le risque, encore une fois, c’est de n’avoir que des multinationales qui vont survivre. On va profondément modifier le tissu commercial de la Presqu’île et d’autres secteurs, comme l’avenue des Frères Lumière, où c’est tout aussi catastrophique. La ville se transforme. Les modes doux et la végétalisation, c’est peut-être le sens de l’histoire. On a toujours dit que nous étions prêts à l’entendre et à discuter. On n’est pas aveugle sur ce qui se passe au niveau de l’évolution climatique, mais ça ne suffit pas. Il faut aussi se poser la question de l’attractivité d’une ville, du type de commerces que l’on veut et comment on accompagne ces changements-là. Et cela, ce n’est pas fait. C’est dommage ! Le problème principal, ce n’est même pas de ne pas arriver à des points d’accord sur tout, c’est que la discussion est presque impossible !

Alors quel est le problème ?
Le problème, vous l’avez dit, c’est que le constat de départ est de dire que tout cela n’impacte pas négativement le commerce. Une fois que l’on a dit cela… J’ai entendu des réponses, sur des problématiques que l’on posait à la Ville de Lyon, qui étaient du type : « oui, mais Monsieur, il pleut au Groenland » ! Ce qui est probablement vrai ! Pour autant, on ne peut pas tout sacrifier, uniquement pour cette raison ! Il y a une manière de le faire. Ça ne peut pas justifier tout et n’importe quoi !

« On n’est pas opposé à des changements, mais on doit y être associé »


Êtes-vous face à un mur ou des négociations sont-elles possibles ?

Pour être transparent, je dois avouer que j’ai un peu arrêté de perdre mon temps dans les réunions avec la mairie. J’ai l’impression que cela ne sert à rien ! J’ai les infos, j’ai les comptes-rendus, mais il y a une direction qui est donnée. On ne comprend pas bien pourquoi quelquefois une moitié de rue est faite en quelques semaines et l’autre moitié en plusieurs mois… Il y a des choses incompréhensibles dans la gestion des travaux !

Fermeture Mac Doulas Bags – rue Gasparin – Photo © Margaux Nourry – Lyon People

Baissez-vous les bras ?
On est quand même combatif. Après, il y a un peu de lassitude. Je pense qu’il y a un vrai enjeu sur les prochaines municipales. Mon rôle n’est pas de faire de la politique, mais d’alerter les gens qui vont voter. Après si c’est le choix de la majorité, c’est la démocratie. Je rappelle toutefois aux commerçants qu’ils peuvent faire le choix de voter dans Lyon. C’est important ! Ce seront des voix qui vont compter. L’important, c’est de bien expliquer les enjeux et les conséquences que ces votes peuvent avoir. C’est important aussi de faire entendre notre voix dans cette période clé. Ce n’est pas dire absolument que l’on est contre. On était opposé autrefois à la transformation des berges du Rhône et la suppression de places de stationnement et aujourd’hui, c’est une vraie réussite. On n’est pas opposé à constater des changements, mais on doit collaborer parce que c’est difficile, en cette période, de se voir imposer un calendrier très radical !

Notez-vous une inquiétante augmentation des fermetures de commerce ?
Dans notre métier comme dans la restauration, il y a énormément de personnes qui sont en train d’arrêter ou qui sont dans une position très compliquée. Nous, par exemple, on sort d’une procédure de sauvegarde. Ce n’est pas uniquement lié à la politique de la Ville, c’est vrai. Mais celle-ci s’inscrit dans un contexte de fragilité. On vient ajouter une coupure de trafic aux entreprises, alors qu’elles en ont besoin.

Liquidation Aux Trois Archers – rue du Président Edouard Herriot – Photos © Margaux Nourry – Lyon People

Peut-on simplement justifier ces difficultés par des problèmes de pouvoir d’achat des Français et la concurrence d’internet ?
Il faudrait qu’un maximum de voyants soient au vert pour s’en sortir. À notre échelle, on peut difficilement jouer sur le contexte politique international et sur la peur qu’il engendre sur les gens. À partir de là, la donne est simple : soit nos politiques locaux prennent en compte ce contexte général et accompagnent les commerçants, soit ils ne le prennent pas en compte en appliquant leur tableau de marche quoi qu’il arrive. Mais dans ce cas-là, on ne peut pas dire que ce n’est pas une difficulté en plus. La transformation de la ville et la suppression de la voiture dans le centre-ville n’est pas la seule cause de nos difficultés économiques, mais c’est un élément d’aggravation ! Tout le monde est impacté !

Les commerçants lyonnais que vous représentez peuvent-ils se satisfaire de la clientèle stricto-lyonnaise ?
C’est impossible ! Ou alors il faut revoir le prix des loyers, la taxation locale… Aujourd’hui, tout est bâti sur la base d’une attractivité large et d’une captation d’une clientèle des extérieurs de Lyon, de la région ou de la Suisse. Si demain, le postulat est de dire que l’on doit consommer dans un périmètre de 2 kilomètres autour de chez soi, la valeur commerciale de la Presqu’île ne devient plus la même. Et la taxation et les charges ne peuvent plus être les mêmes. C’est là où il y a un problème !

Fermeture Marionnaud – rue Emile Zola – Photo © Margaux Nourry – Lyon People

Aujourd’hui, comment récupérer cette clientèle qui s’est tournée vers les extérieurs de Lyon ?
C’est très difficile ! Moi, je le compare à ce qui s’est passé à Paris où le centre de Paris ne travaille plus avec les gens de la périphérie. Paris travaille avec les touristes et ceux qui habitent dans Paris. Ici, c’est en train de devenir la même chose. Sur les extérieurs de la ville, on a peut-être un peu moins de problèmes. Les gens résistent mieux, parce qu’on a moins ce phénomène de saturation que dans le centre de Lyon. Le problème, c’est la volonté assumée de dire que les gens ne doivent plus circuler en voiture pour consommer. À partir de là, c’est compliqué d’être d’accord sur autre chose. Mais ils ne peuvent pas le faire sans réfléchir à un projet plus global. Sinon, c’est qu’ils acceptent de sacrifier des entreprises et des indépendants. Qu’est-ce que l’on fait des gens qui ont parié sur l’attractivité du centre-ville il y a des dizaines et des dizaines d’années ? Il y a une vraie sonnette d’alarme !

« Le problème, aujourd’hui, c’est que le dynamisme économique d’une ville est un cercle vicieux et négatif pour la mairie actuelle »


Vous avez parlé des touristes comme sources de revenus pour les commerces. Cependant, Lyon semble moins briller que par le passé ?

Je regrette que la politique locale soit moins axée sur la valorisation de Lyon et l’attractivité de la ville à l’étranger. C’est assumé là aussi. C’est dommage, parce qu’il y a eu un gros travail qui avait été fait. La ville était reconnue internationalement comme une destination touristique de premier choix et aujourd’hui, force est de constater que la direction est moins donnée dans ce sens-là. La Ville de Lyon ne souhaite plus que notre cité soit un lieu touristique qui génère du flux. C’est pourtant ce qui fait vivre une ville et ce qui lui permet d’avoir plus de richesses ou d’avoir de l’emploi. C’est un cercle vertueux et non un cercle vicieux. Le problème, aujourd’hui, c’est qu’on a l’impression que le dynamisme économique d’une ville, le trafic d’une ville est un cercle vicieux et négatif pour la mairie actuelle. À partir de là, on ne comprend pas comment la ville va s’en sortir économiquement et sur quoi l’attractivité de la ville va reposer une fois que l’on aura fini cette transformation écologique. Économiquement, ça ne suffira pas de planter des arbres et de piétonniser la ville !

Fermeture Oxxo Shop – angle rue Thomassin-rue Mercière – Photo © Margaux Nourry – Lyon People

Mais vous aurez peut-être sauvé le Groenland !
Peut-être ! Malheureusement, ce sera cher payé. Alors c’est peut-être le sens de l’histoire, parce que ce qui se passe à Lyon se passe aussi à Bordeaux, à Annecy ou dans d’autres villes. Pour autant, l’addition sera salée si on continue sur ce rythme-là !

Enfin, quelles sont vos solutions pour sauver ces commerces ?
Il faut absolument que nos politiques locaux comprennent que l’on n’est pas vent debout contre la transformation qui est opérée. Elle a du bon aussi. Nous aussi, il ne faut pas que l’on soit arc-bouté sur nos positions. L’important, c’est le dialogue et que les gens comprennent que l’on est dans le même bateau, avec les mêmes intérêts pour la ville. J’ai l’impression que les commerçants ont plus évolué sur leur mentalité que les élus qui pilotent la ville. Il faudrait un peu plus d’écoute, de souplesse et d’accompagnement pour arriver à améliorer les choses.

<a href="https://www.lyonpeople.com/author/morgan" target="_self">Morgan Couturier</a>

Morgan Couturier

Le journaliste de Lyon People, c’est bien lui ! En quête de scoops, toute info est la bienvenue !

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