Exposition Bonnard. Réunion de famille autour du peintre du bonheur

19 décembre, 2021 | LES EXPOS | 0 commentaires

Par Bernard Gouttenoire

Étonnantes propositions de la part de deux grands musées nationaux que de proposer simultanément deux exceptionnelles expositions consacrées au dernier des grands peintres, Pierre Bonnard (1867-1947), et à ses nombreux « suiveurs », lui qui fut la discrétion même, et qui n’a jamais fait école. Il avait pour seule motivation l’élévation de l’être par la transcendance de la forme, de la matière, de la couleur, magnifiées par la seule lumière intérieure… Plongeons dans l’exposition de Grenoble, puis dans celle du Cannet, qui présente jusqu’à fin janvier 2022 « Les Enfants de Bonnard »…

C’est devant un tableau du Musée de Grenoble « intérieur blanc » (ci-dessous) que Jacques Truphémus a admiré Bonnard, en tout premier, dans les années 50. Le jeune peintre balbutiait avec ses complices aux Beaux-Arts de Lyon, Jean Fusaro, André Cottavoz et Philibert Charrin, (les Sanzistes de la promotion de 1947), déjà, ils ne juraient que par la lumière, la vibration et l‘inventivité de ce Bonnard, qui était lui-même issu du groupe Nabis (1888-1900), eux-mêmes grands admirateurs de Paul Cézanne, et révélés par Paul Gauguin. Cette toile bienfaitrice montrant l’intimité du peintre au Cannet, est datée de 1932. Elle a été acquise par le conservateur Andry-Farcy du Musée dauphinois, dès 1933. Résolument moderne elle a touché la génération naissante à Lyon, de plein fouet…

Pierre Bonnard, Intérieur blanc, 1932. Grenoble, Musée de Grenoble

Le sujet se situe au premier étage de la villa le bosquet, et l’on voit par le balcon le village du Cannet suggéré, et la mer au loin. Surprenant est le choix de la pagination de son tableau ou Pierre Bonnard peint un « non-sujet ». Une audacieuse proposition pour l’époque. Il y a en enfilade, un coin de radiateur, une porte entr’ouverte, un morceau de cheminée, une partie de la table servie, et un bout de chaise, auprès de laquelle s’enroule (noyée dans la couleur du tapis), la personnalité de Marthe Bonnard recourbée -qu’il faut deviner- caressant un chat. Il y avait là, à la fois, l’inventivité dans la lumière, dans la vibration

Les Lyonnais (et les peintres qui suivent) ont eu bien raison de tout lui prendre, et d’accéder à la totale liberté de Bonnard, moins tapageuse – parce que très mystérieuse, plus subtile et merveilleusement sublime- que tous ses contemporains, en soif d’être vus, persuadés d’être reconnus. On comprend pourquoi Pablo Picasso, ne « supportait » pas ce peintre, qui semblait toujours hésiter, et qui se contentait de regarder couler la lumière sur les choses de la banalité. L’espagnol, lui, s’ingéniait à disséquer tout ce qu’il entreprenait, définissant ainsi l’aventure « cubiste » toute de puissance (mais aussi, plein d’arrogance et d’extravagances). Une « recette » qui a fonctionné, amenant au monde du marché de l’art, un mode « spectaculaire » très lucratif, de plus…

Pierre Bonnard – La jeune fille aux bas noirs 1893

Bonnard était trop sensible, face aux déferlantes qui ont fabriqué l’affiche des modernités, il était loin des excès -nous le voyons ici- le plus novateur. C’est en cela qu’il est seul et unique et qu’il a inventé (ce que je nomme depuis 1970) « le Bonnardisme ». Il faudra bien que le monde réfléchisse sur « l’essentiel », l’avenir et la lumière qui ne doit provenir que de soi-même… pour espérer sortir vivants du chaos, qui nous tenaille ? Et pourquoi ne pas envisager la leçon de Bonnard comme un message messianique ? La lumière intérieure, seule partition salvatrice, face à la déchéance si cruelle et folle d’un monde pollué, égoïste et (malsain) assassin… Nous aussi nous avons des enfants, qui auront des enfants…

Au Cannet « Les enfants de Bonnard »

C’est pourquoi il faut s’attarder sur « Les Enfants de Bonnard ». Non pas Gérard, l’enfant naturel (dont le peintre fera un portrait dans les bras de sa mère, pour l’illustrer le livre commandé par l’éditeur Vollard « Sainte Monique » 1930), fils que Bonnard a eu avec l’un de ses beaux modèles, (sans doute pour effacer le traumatisme du suicide, à Rome, de son modèle blond Renée Montchaty, le 9 septembre 1925), Lucienne -l’épouse du docteur Dupuy de Frenelle, le médecin de Marthe de Méligny, épouse Bonnard, née Maria Boursin- et dont Marion Gayno (la petite-fille de Bonnard) a écrit l’histoire très émouvante (in « Le secret de la toque bleue » éditions Terre en vue, Fécamp, Mai 2021). « Les (vrais) Enfants de Bonnard » sont ceux qui se sont inspirés et nourris de lui, et qui ont trouvé refuge grâce à Véronique Serrano, conservatrice du Musée Bonnard au Cannet, jusqu’au 31 janvier 2022.

Pierre Bonnard – Trouville, la sortie du port, entre 1938 et 1945

Un exemple -et non le moindre- lorsque le tout jeune Balthus qui, à 12 ans, avait rencontré Bonnard (vers 1922), lorsqu’il rendait visite à Claude Monet à Giverny, en compagnie de Rainer Maria Rilke (qui était l’amant de Baladine, sa mère). Balthus m’a dit (lire in Le Progrès de Lyon, des 11 juin et 26 août 1999) « j’aimais tellement Bonnard » au point qu’il a repris « le port de Trouviille » de 1936 du nabi japonard, dans une pochade de 1953, et ce n’est pas Gérard Régnier (alias Jean Clair) qui me contredira, alors qu’il était à Chassy, réfugié dans le Morvan avec sa très jeune maitresse Frédérique Tison.

« Il n’y a jamais assez de jaune », ainsi s’exprimait Bonnard lorsqu’il demandait à son neveu et biographe Charles Terrasse, de rajouter du jaune, à gauche au pied de « l’amandier en fleurs » (exposé à Grenoble), date de son ultime toile peinte jusqu’au 23 janvier 1947, avant son dernier souffle. Alors qu’il avait déclaré en 1944 « je voudrais arriver devant les peintres de l’an 2000 avec des ailes de papillon ». Une belle prophétie encore.

C’est aussi le choix de la proposition de Vincent Bioulès (ci-dessus) qui a été l’un des fondateurs de « Support-Surfaces » avec Claude Viallat (vers 1970) et qui est revenu à la peinture dite « d’émotion », après avoir touché le fond de l’impasse. Il a retenu la façon de Bonnard de maitriser la lumière du Sud (celle des mimosas fleuris), au point de signifier que le jaune est comme la lumière absolue, du ciel se mirant dans la mer… (toile exposée au Cannet, coll. privée Lyon).

Bonnard avait déjà vécu cela, dans une toile magnifique « le golfe de St Tropez » de 1937 (exposée à Grenoble) et montrée en 1999, par Léonard Gianadda, à la Fondation Pierre Gianadda de Martigny. Jaune sur ton jaune (annonçant les étalements monochromes chers à Mark Rothko). Bioulès s’est souvenu de cela dans sa toile méditerranéenne de jaunes vêtue. Bonnard avait déclenché des passages abstraits avec ses percées de nuages roses, identiques à ceux plus tardifs de Jean Fautrier. Et même Vieira da Silva avait dit à notre ami Antoine Terrasse « les nappes à carreaux de Bonnard me rappelaient les favelas de mon Portugal natal ». Jusqu’où vont se nicher les influences ?  

Jean Bazaine (tout comme son complice François-Xavier Fagniez, ami de l’écrivain Kenneth White, éditions Gallimard), ont tout compris de l’ascèse chez Bonnard. Bazaine – qui a rencontré Bonnard lors de sa première exposition à Paris, en 1932, m’a dit combien le peintre du bonheur, l’avait encouragé à poursuivre dans son sens, au point que -lorsque Bonnard a dessiné pour la revue Verve (sortie en 1944), un soleil majestueux en guise de frontispice- Bazaine n’a pu s’empêcher de reformuler le même geste en un soleil noir, très inspiré… (montré au Cannet, coll. privée Lyon).

Pierre Bonnard – L’Atelier au mimosa, 1939-1946

Pierre Bonnard a, assurément, passé le relais à des multiples peintres essentiels tous enivrés, baignés de sa lumière, artistes qui a leur tour auront des disciples, citons parmi ceux nommés au Cannet Geneviève Asse, Gérard Garouste, Jean Lesieur, Jean Fusaro, Patrice Giorda, André Cottavoz, Jean Rustin, James Guitet, Léonardo Crémonini, Fernando Botero, Alberto Giacometti, Giorgio Morandi, Nicolas de Staël, Francis Bacon (un nu à la baignoire de 1950) et même Jackson Pollock quand il s’inspire de « l’homme et la femme » de 1900, (musée d’Orsay, montré à Grenoble), alors que Jeremy Lewinson (curator de la Tate Gallery de Londres), avait attribué hâtivement l’influence à un tableau de Picasso (« three dancers » de 1925).

Ainsi, le jeu des passassions entre Bonnard et l’Histoire de l’art moderne et contemporaine, existe vraiment. A Grenoble s’impose sans bruit, mais magistralement, Bonnard comme le plus grand peintre de son temps… Et la formidable exposition du Cannet dans la suite, démontre (il était temps de le dire), que la leçon de Bonnard a fait – décidément à l’unanimité – beaucoup, beaucoup d’émules, tous épris de liberté…

Musée de Grenoble, (Isère)
« Bonnard les couleurs de la lumière »
avec le concours du musée d’Orsay jusqu’au 31 janvier 2022

Musée Bonnard, le Cannet (Alpes-Maritimes)
« Les enfants de Bonnard » avec le concours du musée d’Orsay jusqu’au 31 janvier 2022.

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Marco Polisson

Rédacteur en chef
Co-fondateur du magazine.
En charge de la rédaction et responsable des partenariats.
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