Jean-Claude Anaf en son écrin

12 octobre, 2007 | LES GENS | 0 commentaires

Par Nadine Fageol

anaf Photos © Jean-Luc Mège

 

Plus que les meubles et voitures qu'il éparpille sous son marteau, c'est la gente humaine qui anime ce commissaire-priseur captivant, coquet et forte tête. À priori car l'estampille révèle façon de faire et manière de voir.

 

Le costume choisi, le phrasé élégant, le regard droit presque arrogant, Jean-Claude Anaf est un authentique personnage lyonnais dans la galerie racée que l'on pourrait croiser dans un chapitre de Calixte. À sa façon, il a dépassé le cadre de l'enfermement dans une vie bourgeoise au rituel de traditions pour trabouler des origines au vécu intense.  Rendez-vous dans l'immense appartement du quai de Serbie. Fatima ouvre la porte sur un hall triomphant, des cornes d'ivoire sur leur sellette art déco encadrent l'ouverture sur la pièce de vie marquée de fûts cylindriques en guise de colonnes d'acier. On va vite s'apercevoir qu'avec Monsieur Anaf, le préjugé ne faisant pas loi, la pompe s'arrête là. Premier indice, un escalier repeint dans une laque jaune détonante. Des rideaux tirés percent quelques brins de soleil sans arriver toutefois à ranimer la pièce d'un jaune laiteux peuplée d'œuvres d'art, la plus visible des tubes de gouaches jaunes et blanches accumulées par Armand. On reconnaît la délicate géométrie lunaire de Calder, nombre de masques africains animent de leur expression unique des lieux dominés par l'art déco pour tout le petit mobilier d'appoint et le bureau niché dans une alcôve transformée en bibliothèque où les livres sont présentés côté couverture. Portable vissé à l'oreille, le voilà inimitable avec son nœud de papillon posé comme une broche. La mine bronzée, il rentre d'une croisière en mer Noire après un habituel séjour à la Messardière son nid tropézien. Maître Anaf est homme de maîtrise, accueil sage, « café et petits biscuits », attitude circonspecte face à un entretien qui voit les questions fuser de toute part. Dans son monde, exigeant, tout doit se passer comme il l'entend ; seul son compagnon devenu associé Jean Martinon déroge par sa faconde et ses embardés parfois loufoques. On recadre, Maître Anaf ne goûtant pas à la spéculation achète par pur plaisir. Le gourmet collectionne les meubles de Sornay et là où d'autres s'entichent des classiques Le Corbusier en chrome et cuir noir ; lui s'offre canapés et fauteuils en tissu ciel sur structures beiges. « Il faut que les choses repartent ailleurs », il est passé d'une époque à l'autre, a fourgué les meubles de famille, envisage de refaire l'appartement dans un esprit contemporain et après, en l'absence d'héritier tout ira à une fondation, une association… « Mon seul regret est de ne pas avoir eu d'enfant. Dans mes convictions à l'opposé de mon style de vie, un enfant doit avoir un père et une mère ».

 

Remontons dans le temps, à Grenoble, Jean-Claude est un « cancre, nul, j'étais le désespoir de ma famille ». Une amie étudiante va trouver la clef ; Marie Françoise Calles l'imagine commissaire-priseur. L'idée lui plaît ; son fourreur de père passe quelques coups de fil et le vilain petit canard d'intégrer l'étude Blache pour six mois. L'étudiant « petit bourge » découvre un univers, l'envers du décor. « Ce métier m'a tout de suite plu, non pas les objets mais les gens. Dans les salles des ventes, on voit tout le panel d'une société ». Passé cinq ans, il se sauve, Blache ne souhaitant pas s'associer. Limoges, Cannes, Saint Étienne, il cherche à s'installer et trouve associée à Lyon en la personne de Françoise Herment-Mochon. En froid avec son père, il emprunte à la Caisse des Dépots… Très vite les rapports s'enveniment, et le jeune loup de racheter les parts de la dame. L'étude Anaf est née et la renommée au bout des années difficiles. « Je ne suis dupe de rien, ni de moi, ni des autres. On me raconte prétentieux, vaniteux, sévère, en fait j'ai 20 ans dans ma tête et j'adore rire ». Et 60 au compteur de la vie, suffisamment de recul pour livrer sans miasme, « j'ai toujours eu une haute opinion de mon métier. À tort ou à raison, il ne fallait pas que je donne prise et je me suis forgé une carapace. Jean est arrivé au Brotteaux en 1994 ». Le professeur d'histoire et de droit public volontiers rieur. « Il y a un capitaine à bord, moi. Et Jean qui est merveilleux, très bon ; parfois, il dira tout haut ce que je pense tout bas. Nous formons un beau duo, c'est important car demain il peut m'arriver quelque chose ». Ainsi va Maître Anaf, provocateur et farceur en privé avec Fatima sa nounou qui, le regard joyeux, questionne : « je vais être en photo dans la presse avec vous ? ». Ainsi va Maître Anaf à l'étude habillé tout collé monté alors qu'il dit détester ça. La carapace est tenace, le caractère adouci, « depuis deux trois ans, je ne m'énerve plus ça me fatigue, je deviens adepte de consensus ». Il a pris le train du changement en marche, celui de l'ouverture de la ville qu'il explique par l'arrivée du TGV qui a bouleversé le monde des affaires atténuant l'impact de la bourgeoisie déterminante jusqu'à la fin de la guerre et férue d'art au profit d'une nouvelle génération d'industriels et d'hommes d'affaires dont Jean-Michel Aulas serait le leader. Anaf, honnête quand il vous dit ne pas être un homme de gauche, «  si mes convictions philosophiques sont plus de gauche, mes intérêts financiers sont à droite ». Cela ne l'empêche pas d'en pincer pour Gégé Collomb « excellent maire de proximité. On peut ne pas avoir le même vote pour les municipales et les présidentielles. Ce clivage droite gauche est complètement obsolète ». Il nous a tracé le portrait d'un sale gosse ne supportant aucune forme de refus, il s'est raconté porté par l'exigence, finalement il se révèle complètement, « je suis profondément timide mais dans mon métier personne ne me fait peur. Jean soutient Collomb, se présente aux élections. Moi je rase les murs. » Préférant son nombre d'amis tenant sur les doigts d'une main et pour ne pas faire de jaloux refuse d'en livrer les noms. Pour le reste, « je m'entretiens. Je prendrais ma retraite dans dix ans, tous les dix ans je repousse l'échéance ». Rien que de très normal pour quelqu'un qui ne se plaît qu'en jean et basket, déteste ses nœuds. La solution est probablement dans sa collection de Tintin ou une toile de Jules Flandrin, unique rescapée du mobilier de famille. Il insiste, « une chose est certaine, on ne réussit pas impunément. Certes, il y a le facteur chance, mais rien n'est acquis. Il faut savoir se remettre en question ; c'est l'un de mes grands principes de vie ».

 

 

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