Texte : Morgan Couturier et Marco Polisson – Véritable bassin d’activités, au dynamisme souvent insoupçonné, Neuville-sur-Saône fait néanmoins l’objet d’un important plan de transformation de la part de la Métropole de Lyon. Au programme : piétonnisation des rues et suppression de places de stationnement. Les travaux à peine débutés, leurs conséquences se font déjà ressentir.
La rhétorique est bien connue. Elle a souvent été entendue ou prononcée : demain est un autre jour. Un jour meilleur espère-t-on souvent. Mais à Neuville-sur-Saône, chaque jour qui passe et qui arrive, semble rapprocher la commune d’un vaste chaos.
Samedi 21 juin 2025. Bruno Bernard pris à partie par Michel Prenant (le boulanger des Planches en son temps) pour lui exprimer son mécontentement quant à la piétonisation de la rue qui dessert sa boulangerie depuis le pont de Neuville et qui lui fait perdre beaucoup de clients.
Pour les plus pessimistes, nul besoin de boule de cristal pour comprendre que les travaux de réaménagement entamés depuis le début de l’année 2025, desserviront à l’avenir les habitants et bon nombre de commerçants, alors que la ville héberge plus de 150 entreprises. « Le dynamisme est bien plus important que le nombre d’habitants. 72% des emplois locaux sont dans le commerce », glisse-t-on en guise de présentation.
Au rond-point du Pont de Beuville, deux voies automobiles (les rues Loras et Victor Hugo) ont été supprimées. Les embouteillages sont incessants.
Hélas, ce décor semble bel et bien parti pour être chamboulé, voire disparaître, sous le poids de la politique écologiste. De la Métropole de Lyon d’abord. Mais aussi du maire vert, Vincent Alamercery, héritier du siège du défunt édile communiste, Éric Bellot. « Il dit amen à tout ce que la Métropole veut faire. La Mairie a donné un permis d’aménagement sans même étudier le projet », dénonce Maître Julien Chauviré, avocat de l’association Bien Vivre à Neuville.
Un projet d’aménagement des quais estimé à 3,7 millions d’euros
Les répercussions sautent alors déjà aux yeux : comme sur de nombreux chantiers engagés par Bruno Bernard et ses adjoints, Neuville-sur-Saône plie sous le poids des travaux et des embouteillages, visibles dès la mi-journée, en plein mois de juillet.
« Ce projet d’aménagement des quais suit la volonté de la commune et de la Métropole d’offrir un nouveau lieu de vie pour les habitants, visiteurs et riverains tout en améliorant les différents flux de circulation », eut pourtant exposé la Métropole de Lyon, en octobre 2024.
S’il faut déjà s’armer de patience lorsqu’un bus TCL occupe la chaussée, la situation est telle : la circulation s’est irrémédiablement détériorée. Résultat, l’activité économique enregistre déjà un fléchissement. Elle pourrait rapidement sombrer, alors que les travaux engagés visent à supprimer des places de stationnement.
À commencer par le parking situé au nord du pont, voué à disparaître en mars 2026, pour « laisser place à une vaste promenade piétonne végétalisée » et à l’installation sur le quai, d’une piste cyclable, baptisée Voie Lyonnaise numéro 3.
Une piétonisation catastrophe. La rue Victor Hugo photographiée le mardi 8 juillet en milieu d’après-midi. Un vrai désert !
« Il y a un vrai pôle économique. Mais si on veut qu’il subsiste, on doit pouvoir accéder à la ville. Puis stationner », poursuit Julien Chauviré, alors que ce projet d’aménagement tend à diminuer les places de stationnement de 525 à 366 emplacements. Et encore.
Si le projet comporte la reconstruction d’un parking au-dessus de la rue Rey Loras, – bientôt piétonnisée -, les promesses pourraient être très éloignées de la réalité. « Ils espèrent créer quatre rangées de bagnoles, mais pour nous, ça nous paraît impossible », se projette l’homme de loi.
Plus encore, c’est la menace d’une nouvelle suppression de places de stationnement, au sud du pont cette fois, qui inquiète bon nombre de Neuvillois. Pas encore votée, cette phase 2 serait déjà dans les tuyaux. Elle viserait alors au lendemain des élections municipales, à effacer une centaine de places supplémentaire, dans le prolongement de la place Ampère.
« À la rigueur, s’ils s’arrêtent à la première phase, Neuville peut survivre, les gens finiront par s’adapter. Mais s’ils lancent la phase 2, ça va devenir invivable. Leur objectif est de repousser la circulation automobile sur les extérieurs du bourg. Le problème, c’est que même pour les habitants, personne n’a de stationnement individuel. Tout le monde utilise les parkings », s’indigne encore l’avocat, lequel craint un report de l’autre côté du pont, où le parking de la gare d’Albigny (230 places, ndlr) pourrait être pris pour alternative.
La piétonnisation de la rue Victor Hugo, un coup rude porté aux commerçants
En attendant de voir si ces projections s’avèrent correctes ou non, l’opposition a donc pris position. Et gagne en importance. Sur les façades des commerces du centre-ville, le message est clair : ils ne mourront pas sans combattre. Et ce, même s’ils portent déjà les stigmates de la piétonnisation de la rue Victor Hugo, entre les quais de Neuville et la place du 8-Mai-1945, opérée en juin dernier.
Le but : « améliorer les cheminements et la sécurité des piétons », dixit la Métropole. Montant de ce chantier long de six mois : 600 000€. Sans oublier les pertes subies par les patrons et patronnes concernés, alors que l’artère souffre déjà de sa transformation.
« Dans notre cas, on n’a plus le passage des clients, le matin et le soir. J’ai dû demander à la banque de me faire un prêt de trésorerie », s’attriste l’artisan boulanger Michel Prenant, fournisseur officiel du restaurant Les Planches à l’époque de Jean-Louis Manoa. Même constat en contrebas, du côté du torréfacteur Jaune Cerise.
« Il n’y a pas de concertation. Le projet est là et s’impose à vous. On n’est pas contre embellir la ville, mais il faut un juste milieu », regrette la propriétaire Laureen Callegher, ses clients les plus âgés se plaignant déjà des travaux et de la suppression de places de parking.
L’opposition se cherche un candidat
Et plus loin, sur l’allée voisine, rue Louis Blanc, le message est identique. « On a perdu 20% de chiffre d’affaires depuis les travaux. Beaucoup de clients ne prennent plus la peine de venir, c’est trop compliqué », témoigne Florence Rozier, directrice de la boucherie éponyme.
Même son de cloche pour sa voisine, Isabelle Raffoux, dont la charmante boutique Frou Frou tenue depuis 13 ans, est inhabituellement délaissée. Sur la place Ampère, le discours diffère à peine.
Julien Chauviré, avocat de l’association Bien Vivre à Neuville qui a réuni 8 000 signatures contre le projet de requalification des quais.
Les lieux sonnent creux, à peine réveillés par les cloches de l’église Notre-Dame de l’Assomption. Une ambiance désolante pour Florent Gonin, président de l’association Bien Vivre à Neuville et gérant de la bijouterie Aigue Marine.
« Ce qui est tragique, c’est la vitesse à laquelle les gens ont déserté la rue », embraye Julien Chauviré, ce dernier évoquant jusqu’à 3 500 véhicules par jour sur la rue Victor Hugo, à sa belle époque.
Leur salut pourrait alors venir du résultat des urnes et des prochaines élections municipales (lire encadré). Mais aussi des conclusions du recours contentieux que projette de poser l’association Bien Vivre à Neuville. Une manière aussi, de suspendre les travaux et de gagner du temps. Jusqu’en… mars 2026.
ENCADRE
Benjamin Gauthey. Contre la fermeture de Neuville
À 35 ans, Benjamin Gauthey se tient prêt. À six mois des élections, « l’enfant de la Saône » a officialisé son projet : prendre les commandes de la mairie, aux mains de la gauche écolo communiste depuis 2020. Fort de plusieurs expériences au sein du Parlement et de diverses collectivités, le candidat Divers Droite se veut « pragmatique et concret ».
Sa candidature vise à « redonner un sentiment de fierté aux Neuvillois ». « Ma boussole, c’est la proximité », assure-t-il, soutenu par de nombreux élus du Val-de-Saône. Tombé sous le charme de la qualité de vie historique de sa commune, ce fervent admirateur de l’ancien ministre Philippe Séguin souhaite renouer avec l’image d’une ville propre et dynamique, pensée avec une écologie non punitive.
Alerte sur les sujets de sécurité publique, le trentenaire aspire aussi à renforcer les effectifs de la police municipale et à moderniser un système de vidéo-surveillance devenu désuet. Mais pour remporter la bataille, Benjamin Gauthey le sait, il lui faudra notamment gagner la confiance des commerçants dégoûtés par les nouveaux aménagements et le cœur des personnes âgées, « pour qui peu de choses ont été faites ».
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