Jean-Michel Aulas. Mon stade, ma bataille !

7 janvier, 2016 | LES GENS | 0 commentaires

Photos © Jean-Luc Mège

Propos recueillis par Pascal Auclair, Franck Girardet et Marc Polisson

Le 9 janvier prochain, à l’occasion de la venue de Troyes, près de 60 000 spectateurs prendront place dans le Grand Stade, à Décines. A quelques jours de ce lever de rideau, Jean-Michel Aulas répond en exclusivité à toutes les questions que se posent les Lyonnais.

L’inauguration du Grand Stade constitue-t-elle à vos yeux l’aboutissement de 28 ans de présidence ?
Oui, c’est inévitablement un aboutissement mais aussi un point de départ qu’il faudra convertir en succès économique et sportif.

Dévoilé en 2007, ce projet a pris beaucoup de retard en raison de multiples recours. Avez-vous craint, un temps, de ne pouvoir arriver à vos fins ?
Bien sûr. Il y a eu plusieurs phases « dépressives » qui, en raison des recours, mais aussi des décisions politiques, ont pu laisser craindre que ce beau projet ne se concrétiserait pas. Mais nous avons fait preuve de persévérance. Aujourd’hui, nous sommes heureux et émus de pouvoir proposer au public et aux supporters lyonnais le plus bel outil du genre en Europe, et peut-être même dans le monde.

A l’origine, vous évoquiez des « oppositions modestes ». N’avez-vous pas sous-estimé vos adversaires ?
Non, je ne pense pas. On rencontre toujours beaucoup de réticences lorsque l’on cherche à innover. Il y a quelques années, les oiseaux de mauvais augure prédisaient que la France n’aurait pas l’Euro, que Lyon n’aurait pas son Grand Stade, qu’un projet privé de cette envergure était impossible… Finalement, l’OL aura son propre stade, ultra moderne, l’Euro se jouera à Lyon et les contribuables lyonnais auront été bien moins mis à contribution que dans d’autres villes.

Vous avez menacé de quitter l’OL, en 2008, si ce projet n’aboutissait pas. C’était du bluff ou un simple instant d’exaspération ?
Un peu des deux… J’étais à la fois très énervé et un peu bluffeur car je voulais absolument offrir aux Lyonnais un stade multifonction à la pointe de la technologie, un stade à la dimension d’une métropole comme Lyon.

Avez-vous conscience que ce dossier économico-sportif était devenu au fil des ans, un enjeu politique à Lyon ?
Oui, j’en ai conscience.  Mais c’est souvent le cas lorsque l’on porte un tel projet. Ma grande fierté, c’est que ce dossier est devenu exemplaire. Il doit servir de référence pour permettre à la France de progresser dans ses habitudes économico-politiques.

Beaucoup de chiffres ont été avancés sur la facture finale de l’opération. Etes-vous capable, aujourd’hui, de nous dire combien va coûter le Grand Stade ?
Le stade va couter ce qui était prévu, à savoir 305 millions d’euros, chiffre auquel il faut ajouter les aménagements intérieurs et le camp d’entraînement non budgété à l’origine. Globalement, le parc Olympique Lyonnais et ses 45 hectares va couter 455 millions d’euros. Nous pouvons compter sur la contribution de divers opérateurs privés pour prendre en charge l’établissement médical, le centre de loisirs, l’hôtel quatre étoiles de 150 chambres, les 15 000 mètres carrés de bureaux, soit environ 150 millions d’euros supplémentaires. On flirte donc, au final, avec les 600 millions d’investissements privés sur le site qui auront créé plus de 2 500 emplois durant trente mois et vont générer près de mille emplois permanents, à terme, et plus de 2 500 emplois les soirs de match.

Comment êtes-vous parvenu à boucler le montage financier ? Uniquement par emprunts bancaires ?
Non, les deux actionnaires principaux, en l’occurrence Jérôme Seydoux, via Pathé, et moi-même, à titre personnel, ainsi que tous les autres actionnaires, ont investi plus de 200 millions de fonds propres. La différence, soit 250 millions d’euros, a été financée d’une part sous forme d’émission d’obligations auprès de Vinci et de la Caisse des Dépôts, et 135 millions d’euros par le biais d’emprunts bancaires souscrits auprès d’une dizaine d’établissements. Je regrette qu’aucune grande banque étrangère n’ait participé au financement. Cela dit, de grands investisseurs privés internationaux devraient nous rejoindre pour la deuxième phase du projet.

Il n’y a donc pas eu de dérapage budgétaire… Vous ne serez pas le Michel Mercier de Décines et le Grand Stade ne sera pas le gouffre du Musée des Confluences ?
(Rires) Non, aucun dérapage. Je salue d’ailleurs le professionnalisme de Vinci qui a construit au prix donné, avec une livraison en temps et en heure, et de Gilbert Giorgi, le maître d’œuvre du projet. La moralité, c’est que lorsqu’on monte un projet d’une telle envergure, si les utilisateurs sont aussi les propriétaires, on obtient un contrôle permanent qui évite les dérives, tant sur le plan budgétaire que des délais de livraison.

Apparemment, on dérape moins dans le privé que dans le public…
(Sourire) Oui, bien sûr. On est très fier d’être arrivé au bout d’un tel projet sans avoir recours aux fonds publics, à l’argent du contribuable, à l’exception de l’accessibilité et des transports en commun, publics, qui permettront à tous les Lyonnais de venir profiter du centre commercial, de l’offre de loisirs, des restaurants…

« L’OL va retrouver une spirale positive »

Vous avez évoqué l’investissement très significatif du Grand Stade. Comment comptez-vous l’amortir ?
D’abord en faisant progresser le club dans la hiérarchie européenne. L’OL est aujourd’hui dans le top 25 continental. A terme, il faut s’installer durablement dans le Top 8 européen, à l’instar d’Arsenal, du Bayern, de Manchester, du Real ou du PSG désormais. Ces performances sportives, la Champion’s League, la marque OL, vont générer des revenus très importants. D’autre part, la multifonctionnalité de l’enceinte va permettre de louer l’infrastructure et d’organiser de manière régulière de grands spectacles. Cette récurrence des revenus va générer une spirale positive pour aboutir à un business plan équilibré, voire largement bénéficiaire. Il faut savoir aujourd’hui que les grands clubs européens propriétaires de leur stade sont rentables.

Concrètement, comment cela va-t-il se traduire sur le plan comptable ?
Les revenus de l’OL, la saison dernière, étaient de l’ordre de 100 millions d’euros. Ils vont passer à 200 millions dès la saison en cours, avec une demi-année d’exploitation du Grand Stade. Ensuite, pour être compétitif sur la scène européenne, l’objectif est de générer un chiffre d’affaires de 250 à 300 millions d’euros annuels. Déjà, sur le premier trimestre 2015/2016, nous venons d’annoncer un chiffre d’affaires de près de 65 millions d’euros contre 25 millions d’euros la saison dernière. Ce n’est qu’un début…

Avec un tel business plan, sur combien d’années comptez-vous amortir le Grand Stade ?
Sur trente ans, sachant qu’on espère présenter des comptes bénéficiaires dès la saison en cours. La seule Champion’s League devrait rapporter 40 millions d’euros. D’où la nécessité d’être régulièrement parmi les meilleurs clubs européens. Pour alimenter cette spirale positive, outre les recettes sportives et les revenus des infrastructures, on mise sur le développement de la marque OL sur le plan international. C’est le troisième étage de la fusée. En la matière, les clubs de référence comme le Bayern, le Barça, le Real ou Manchester United récupèrent entre 80 et 100 millions d’euros par an grâce à l’image de marque. Pourquoi pas nous ?

Reste le casse-tête du naming. A ce jour, le Grand Stade n’a toujours pas trouvé de grande marque pour y associer son nom. Sans langue de bois, ce dossier ne serait-il pas au point mort ?
Il n’y a pas de langue de bois, juste des négociations engagées avec de grands groupes étrangers, même si le club comme l’Etat français, pour des raisons de cohérence, verraient d’un bon œil l’engagement d’un investisseur français.

Quand comptez-vous pouvoir annoncer le nom du stade ?
L’Euro se déroulera en juin prochain dans un « clean stadium », c’est à dire que l’éventuel namer ne pourra pas être identifié durant l’épreuve comme le stipule le contrat signé avec l’UEFA. Nous avons donc deux options : soit faire une annonce en amont de l’événement, ce qui nous obligera à ôter toute identification durant l’Euro ; soit attendre la fin de l’Euro pour mettre en place la signalétique du stade. En attendant, de grands partenaires se sont déjà engagés. Groupama va ainsi donner son nom au camp d’entraînement et à l’académie. Un groupe comme Microsoft sera aussi présent dans les salons, comme une cinquantaine d’autres grandes entreprises.

Les tribunes, baptisées Jean-Jaurès et Jean-Bouin à Gerland, vont elles aussi faire l’objet d’un naming ?
Effectivement, ce sera très différent de Gerland. Nous allons innover dans ce domaine, sachant que le stade sera sectorisé avec un code couleurs rouge, bleu et blanc pour identifier sa place. Ce sera complément différent de Gerland, avec la possibilité par exemple de rejoindre facilement sa place grâce à une application web via des bornes wifi permettant 25 000 connexions simultanées.

« 60% des espaces VIP ont été commercialisés »

Justement, où en est la commercialisation des salons ? Tous seront-ils attribués lors de l’inauguration ?
Par rapport à nos objectifs, on est plutôt en avance. A Gerland, nous avions 1800 sièges d’hospitalité. A Décines, nous en aurons 6000 dont 3500 ont déjà été commercialisés. Pour vendre les 40% restants, nous allons lancer une grande campagne de promotion de l’offre, en mettant l’accent sur sa diversité et son originalité. En fait, l’idée est de proposer une solution adaptée à chaque budget, à chaque typologie d’entreprise. Bref, on ne cible plus uniquement la grande entreprise. On veut aussi séduire les PME-PMI, les professions libérales, les artisans, en offrant des sièges avec ou sans hospitalité. La présence d’une brasserie Paul Bocuse va nous aider à compléter cette offre qui s’appliquera aux matches de l’OL mais aussi à tous les autres événements programmés dans le stade, qu’il s’agisse des concerts ou, par exemple, des finales des deux Coupes d’Europe de rugby attribuées à Lyon au printemps prochain.

Pourquoi les loges sont-elles baptisées « 365 » ?
Parce qu’elles sont conçues comme des bureaux afin de pouvoir être exploitées 365 jours par an pour des réunions professionnelles. Des espaces modulables à souhait dont les détenteurs auront à disposition divers services comme une conciergerie, des loisirs, de la restauration… Pour la première fois, il sera possible d’associer vie professionnelle et vie sportive dans un stade en France.

Où en est la vente des abonnements grand public ?
Là aussi, nous avons avancé de manière significative. Nous sommes déjà au double du nombre d’abonnés de Gerland. A terme, nous escomptons entre 25 000 et 30 000 abonnés. C’est l’objectif.

Une rumeur évoque la présence de François Hollande lors de l’inauguration du 9 janvier. Confirmez-vous la venue du Président de la République ?
Effectivement, François Hollande comme Manuel Valls m’ont demandé de les prévenir de la date de l’inauguration. Ils m’ont confirmé que l’un ou l’autre, voire l’un et l’autre, effectueraient le déplacement, au même titre que de nombreuses autres personnalités françaises et internationales.

Le premier mega concert sera celui de Rihanna…
C’est signé, nous l’accueillerons le 19 juillet. Rihanna mérite une enceinte de 60 000 places. Je peux aussi vous annoncer la venue d’un grand artiste de notoriété mondiale (Will I am, ndlr) pour un mini concert après le premier match contre Troyes, le 9 janvier, à 17 heures. Ce sera l’occasion de démontrer la multifonctionnalité et la capacité de transformation rapide du stade.

L’action OL a été introduite à 24 euros en 2007. Aujourd’hui, elle cote à peine 2 euros. N’avez-vous le sentiment d’avoir floué le petit actionnaire ?
Non, c’est le lot de tous les titres en bourse de ne pas avoir évolué à la hausse durant cette période troublée. Cela étant, les actionnaires sont très fiers de contribuer au développement du club. Ils peuvent s’attendre à une progression du cours dans les prochains mois. D’ailleurs, si l’actionnaire principal est toujours Jean-Michel Aulas, s’il a souscrit à la dernière augmentation de capital de 55 millions d’euros, en juin dernier, c’est qu’il croit au projet !

Pourtant, un bruit court que vous allez vendre le club une fois le Grand Stade achevé…
On ne sait jamais. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Le montant de l’investissement, sa finalité à la fois sportive, culturelle et sociologique, excluent une approche opportuniste et purement spéculative du dossier.

« Je suis farouchement opposé à l’installation du LOU à Gerland »

La dernière polémique en date fait état d’un profond désaccord sur la future destination du stade de Gerland dont l’exploitation serait confiée à Olivier Ginon, avec la perspective de reconfigurer l’enceinte en stade de 25 000 places.
Olivier Ginon est actionnaire et administrateur d’OL Group depuis l’origine, donc au courant de tous nos projets. On avait prévu ensemble de pouvoir faire jouer certains matches du LOU dans le Grand Stade sur une pelouse hybride spécialement conçue pour du rugby le vendredi et du foot le week-end. En revanche, il n’a jamais été envisagé, que je sache, d’organiser des hospitalités autour de Gerland. D’ailleurs, le PLU (Plan d’occupation des sols) ne l’autorise pas.

Vous n’étiez pas au courant que le LOU allait prendre possession des lieux et que le patron de GL Events faisait de l’événementiel ?
Depuis l’origine, il est prévu de faire cohabiter les deux structures en évitant que le Grand Stade soit en concurrence avec un opérateur privé exploitant un lieu public. Cela poserait un conflit d’intérêt évident. Le sujet n’est donc absolument pas réglé et nous n’avons donné aucun accord sur le fait que le LOU puisse jouer à Gerland.

Vous êtes donc toujours opposé à l’installation du LOU à Gerland et à l’attribution de l’exploitation du stade à GL Events?
Farouchement ! Il paraît inconcevable qu’au lendemain de l’inauguration et de la mise en service du Grand Stade, on remette en cause son équilibre économique en créant des conditions de concurrence déloyale, tant sur l’activité séminaires que sur l’organisation de concerts ou d’événements sportifs. Ce serait porter un mauvais coup aux investisseurs privés et à tous les actionnaires d’OL Group, société cotée en bourse. Un tel cas de figure ne serait pas raisonnable, voire destructeur.

C’est un mauvais coup de Gérard Collomb…
Je n’irais pas jusque là. On va en discuter.

Mais il ne va pas laisser Gerland en friche…
Moi, si j’étais homme politique, je profiterais de la présence de Normal Sup, de l’école internationale, de l’implantation de la faculté, pour faire de Gerland un vrai pôle technologique, d’éducation et de formation. Un peu dans l’esprit du projet mené par Anne Hidalgo, à Paris, autour de la Halle Freyssinet. Un campus universitaire et sportif, une sorte de Harvard à la Lyonnaise dont le stade, et ses arches magnifiques, serait l’épicentre.

On vous a prêté un temps des ambitions politiques. Cette vision justement très politique ne vous incite-t-elle pas, à l’avenir, à vous engager personnellement, à solliciter les électeurs pour défendre vos idées ?
Non, moi, je fais de la politique sur le plan économique. Sur le terrain technologique et numérique, Cegid est en train de prendre une dimension internationale sous l’impulsion de Patrick Bertand. Sur le terrain de l’événementiel et du sport, le Grand Stade va aussi bousculer les idées reçues. Je laisse aux élus en place, que ce soit Gérard Collomb, Jean-Jack Queyranne ou Christophe Guilloteau, le soin de consacrer leur temps à des sujets éminemment politiques. Moi, je ne sais pas faire… J’essaie juste de créer de la valeur.

Vous avez une gestion très autocratique du club. Avez-vous malgré tout envisagé votre succession ?
Je ne pense pas avoir une gestion autocratique. Quant au problème de ma succession, il n’est pas d’actualité, même s’il est du devoir de tout dirigeant de grandes entreprises de l’envisager. Mais ne soyez pas inquiet. Il y a au sein du club des gens de grande compétence, dont le manager de demain…

 

Interview réalisée mardi 10 novembre 2015 et publiée dans le mensuel Lyon People de décembre 2015.

 

 

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Marco Polisson

Rédacteur en chef
Co-fondateur du magazine.
En charge de la rédaction et responsable des partenariats.
Délégué à la protection des données RGPD

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