Texte : Christophe Magnette – « Gaby, le magnifique » Ou l’art d’entrer dans la légende de son vivant. Un savoir-faire signé Gabriel Paillasson ! En conférant ses lettres de noblesse à la pâtisserie, en France comme à l’étranger, « Gaby » aura su marquer son temps. Et les gens !
L’émoi suscité par sa disparition en atteste : le bonhomme reste – et restera -, une référence pour plusieurs générations, depuis le tout début des années 1970, jusqu’à son retrait de la présidence de [sa] Coupe du monde de la pâtisserie, en janvier 2019. Entre les deux ? Un parcours mémorable, l’intérêt général chevillé au corps, l’altruisme mâtiné à l’âme. Le dernier des Mohicans est parti : il avait 78 ans.
Samedi 29 novembre 2025, en fin d’après-midi, déjà la rumeur bruissait. Les enfants – Nathalie et David -, « faisaient le job », comme leur père aimait à le dire. Chacun prévenant la garde rapprochée, les fidèles qui, depuis de nombreux mois, en guise de respect, laissait Mathy – épouse admirable jusqu’à la fin – s’occuper du vieux lion. Depuis un an et demi, le quotidien était devenu compliqué…
« Je lui dirai que tu as appelé » ; « Je lui ferai passer le message » ; « Il sera content ». Tous les jours – pour 12h30 ! -, Mathy se rendait dans l’établissement de Saint-André-de-Corcy, où il était pris en charge, « Je n’ai pas le choix, sinon il ne veut pas manger ! Cervelle de canut maison, salade de fruits, du bon fromage, tout ce qu’il aime ! Mais il râle toujours autant, question d’habitude ! » [Rires]
Dimanche 30 novembre 2025 à 4h00 du matin, il est parti. Il ne râlera plus.
Quel chemin depuis le 30 juillet 1947 : Panissières (dans la Loire), Lyon, Saint-Fons, le monde ! Parti de rien, arrivé à tout. Un gamin qui, en avril 1961 -, cherche un apprentissage : il veut devenir coiffeur, comme son grand-père maternel. Seulement le coiffeur de Panissières prend sa retraite dans un an : « Écoute petit, je préfère ne pas répondre à ta demande mais tu vois le pâtissier en face ? Je crois qu’il cherche un apprenti. »
Voilà à quoi tient un destin, il suffit parfois de traverser une place. Certificat d’études primaires (1961), puis CAP de pâtissier (1964), les seuls viatiques académiques d’un jeune homme qui le 30 août 1964 arrive à Lyon, chez Émile Barbet, pâtissier au 36, cours Charlemagne. « Ma piaule ? Un squat ! » Gabriel devient Gaby, il s’ouvre à la vie. Trop peut-être, le 29 janvier 1969, dans la descente de Fleurieux-sur-l’Arbresle, il se crashe en voiture : il est éjecté par le pare-brise.

Gabriel dans sa pâtisserie de Saint-Fons, ouverte en octobre 1973. Il y restera jusqu’à sa retraite en 2021.
Double fracture du bassin, sept côtes cassés, diaphragme enfoncé, vingt centimètres d’intestin en moins, un drame fondateur : « J’ai toujours considéré cet accident comme le premier jour d’une nouvelle vie. » Son exutoire ? Les concours, devenant une référence internationale : « Dans les métiers de bouche, pour se distinguer, un palmarès s’impose. Je le savais, je l’ai toujours su. » 1973 ? Une date clé ! Patron à Saint-Fons et mariage à Saint-André-de-Corcy avec Mathy, « il a plu presque toute la journée ». Ça les faisait rire tous les deux. Les naissances de Nathalie et de David ne freinent pas Gabriel : la machine est lancée.
Son curriculum vitae se résume à une dizaine de pages…
Il est possible d’affirmer (sans trop se tromper), qu’il est l’artisan français le plus décoré (voir par ailleurs), une légende (vivante) de son métier (300 récompenses nationales et internationales ; 60 médailles d’or ; 16 Grand Prix !) qui a exporté le savoir-faire français dans une trentaine de pays ; un double Meilleur Ouvrier de France (1972 en pâtisserie et 1976 en glacerie, à 29 ans !), le premier à avoir réalisé de la sculpture sur glace à l’aide d’une tronçonneuse dans l’Hexagone et le premier artisan du Rhône (encore) à avoir communiqué sur des panneaux 4×3 (en 1978, en dissimulant des Louis d’or dans les galettes des rois) ; un militant sans relâche du monde syndical, farouche partisan de l’apprentissage et de la formation.
En filigrane, la posture de Gabriel Paillasson n’a jamais changé d’un iota : “Je suis un passeur de savoirs, et rien d’autre”. Parmi toutes ses distinctions certaines résonnent plus que d’autres : sa médaille d’or de l’Enseignement technique par exemple qui fait écho au cent apprenti(e)s (trois sont devenus Meilleur Ouvrier de France et 49 (!)artisans ou maître-artisans) ; formé(e)s dans la pâtisserie mythique de l’avenue Jean-Jaurès de Saint-Fons. Une histoire achevée en octobre 2018.
Depuis, Gabriel et Mathy s’étaient installés à Bouligneux, à deux cents mètres de la gare de Villard-les-Dombes
Un retour aux sources pour Mathy, un refuge pour Gabriel, par ailleurs passionné de peinture. Dans le garage ? Sa sélection de moules à pâtisserie. Unique. Dans une pièce du rez-de-chaussée, un espace entier consacré à ses archives, personnelles et professionnelles, rangées, reliées, rien qui dépasse. Unique. Le passé ? Ni remords, ni regrets. « Place aux jeunes ! », son leitmotiv. Avec la coupe du monde de la pâtisserie, qu’il a créée en 1989, il a parcouru la planète (près de 35 pays), et laissé une empreinte indélébile.
La genèse ? « J’étais membre-fondateur du salon des métiers de bouche et donc, aux premières loges pour assister à la création des Bocuse d’Or et au déroulement de sa première édition, en 1987. Nous, les pâtissiers, étions les parents-pauvres de la profession, nous n’existions pas, par rapport aux cuisiniers. Alors, j’avais exposé à Albert Romain (à l’époque, directeur de la Foire internationale de Lyon), ma volonté de créer un concours international pour la pâtisserie. Il est évident qu’une fois notre entretien informel terminé, il a appelé le « Paul » [sic] pour l’informer de mes velléités et indirectement, lui demander son aval, comme tout le monde le faisait. » « En parfait visionnaire et homme intelligent qu’il était, il avait bien compris que la cuisine serait toujours plus populaire que la pâtisserie et qu’un nouveau concours ne pouvait pas faire d’ombre au sien, bien au contraire. »
À Monsieur Paul, la cuisine ; à Gabriel, la pâtisserie.
Entre les deux ? Un vrai respect mutuel. Jusqu’à la fin. À l’aune de sa vie, il avait une préoccupation majeure, « qu’on ne raconte pas n’importe quoi… » Aux gémonies la caricature, avec lui il faut assumer. Sinon, on s’expose. Une colère suffit à comprendre. D’où son ouvrage, Gaby l’intrépide (publié en 2022 – édition AVVAE), « il n’y a que la vérité à l’intérieur ». Un simple sms avait suffi pour convaincre deux hommes qu’il appréciait beaucoup – Gérard Collomb et Olivier Ginon -, de préfacer son projet ; idem pour les grands patrons de Savencia, venus spécialement depuis l’étranger pour déjeuner avec lui à Tain-L’Hermitage, chez Valrhona.

En 1989, il crée la première coupe du monde de pâtisserie, évènement qui perdure toujours sur le Sihra en parallèle du Bocuse d’or.
Les patrons « des firmes » (c’est comme ça qu’il appelait les partenaires de la coupe du monde), continuait à l’appeler régulièrement. De Lyon, de Paris, du monde entier, depuis les confédérations nationales, les chambres consulaires, les organisations professionnelles, d’aucuns l’informaient, lui demandaient conseil ou une approbation… À la Confédération nationale des glaciers, à Paris (son président, Bruno Aim, a réservé une pièce dédiée aux archives personnelles de Gaby), où la chambre de métiers et de l’artisanat du Rhône ? Des passages marqués au fer rouge. Il martelait l’idée “qu’il faut un socle solide pour réussir : formation, tradition, évolution”.
Formidable catalyseur d’énergie et fédérateur hors-pair
Sa faculté de projection et d’anticipation était l’apanage de ceux qui marquent des générations entières. D’ailleurs, visionnaire, en 2022, il prônait “la modernisation des outils de travail pour favoriser l’émergence… de nouvelles générations” Un passeur de savoirs donc, et rien d’autre ! Un fidèle surtout : toujours présent pour ses amis et ceux qu’il aimait. « Les fils de patron » [sic], pas trop son truc (!), les manuels, les besogneux, les loyaux et les courageux n’avaient en revanche, rien à craindre.
Parmi eux, citons Philippe Hiriart (MOF glacier 2011), fidèle parmi les fidèles ! -, Jean-Philippe Gay (MOF pâtissier 1986), Bruno Aim, Didier Latapie, Emmanuel Ryon, Pascal Molinès, Pascal Ricci, Alain Lambert, Alain Audouard, Jean Philippon, Jean-Paul Pignol, Christian Janier, Alain Rolancy, Christophe Girardet, Gérard Hugon, Jacques Hanchin, Nasserdine Mendi, Kamal Rahal et Christophe Marguin avec qui une vraie complicité s’était nouée : « Il fait le job ! », soulignait Gaby.
Qui n’a jamais dérogé à sa liberté (de ton) et à son indépendance (d’action) : il aurait pu faire fortune, en France comme ailleurs, faire du conseil, vendre son nom (mieux valait éviter le sujet…), multiplier et démultiplier les partenariats commerciaux : jamais ! Les seules concessions ? Pour la profession et [sa] coupe du monde ! Les décorations¹ ? « Aussi, un levier pour valoriser celles et ceux qui vous entourent ! »

Gabriel entouré de sa famille. De g à d : Gabriel entouré de sa famille. De g à d : sa sœur Sylvie, son épouse Mathy, Gabriel, son fils David (avec Mathys), et sa fille Nathalie
Jusqu’à la fin, sa famille l’aura entouré : « Si j’ai fait autant de choses dans ma vie, c’est parce que je savais que maman [sic] (ndlr : c’est ainsi qu’il désignait Mathy dans l’intimité) était là pour s’occuper de la maison, des enfants et de la pâtisserie. C’est important de l’écrire… » Derrière la gouaille et la gueule, la barbe et les cheveux dépenaillés, le professionnel en tee-shirt et sandales, été comme hiver ! -, cette voix rocailleuse – impressionnante, inimitable -, ce regard d’aigle, la tête baissée, le front froncé – ses deux mains posées sur son ventre meurtri -, un “monstre” de bon sens, d’intelligence fine, de bienveillance et de générosité !
Un iconoclaste, volontiers provocateur et anticonformiste ; un compagnon du Tour de France dit « Forézien l’intrépide » qui croyait moins en un esprit supérieur qu’en l’homme, mu par l’idée de « faire », quelque qu’en soit le prix à payer, « avec de la volonté, un homme peut tout faire ! ». Selon qu’il soit mentor, pygmalion, époux et père, formateur, transmetteur, visionnaire, président, voire pâtissier et glacier (!), Gaby, Gabriel ou M. Paillasson (c’est selon…) aura (presque) tout fait, tout vu, tout vécu. « Nul homme n’est assez riche pour acheter son passé » : c’est avec Oscar Wilde qu’il débutait son ouvrage-confidences. Une manière de rappeler que seule compte la noblesse du cœur : nul doute, le sien continue de battre… Et c’est magnifique.
Obsèques de Gabriel Paillasson
>Le chef repose au complexe funéraire Métras
281, rue Pierre Poivre – 01300 Villars Les Dombes
> La cérémonie d’adieu aura lieu vendredi 5 décembre 2025 à 10h
Village du LOU Rugby au Matmut Stadium de Gerland.
Elle sera suivie, au cours de l’après-midi, de la crémation dans l’intimité familiale.
¹Chevalier de la Légion d’honneur (1994) ; Officier de la Légion d’honneur (2006) ; Chevalier de l’ordre national du Mérite (1987) ; Officier de l’ordre national du Mérite (2002) ; Commandeur de l’ordre national du Mérite (2010) ; Chevalier des Palmes académiques (1993) ; Officier des Palmes académiques (1999) ; Commandeur des Palmes académiques (2008) ; Chevalier du Mérite agricole (1987) ; Officier du Mérite agricole (1999) ; Chevalier des arts et des Lettres (2016).























Un seul être vous manque et tout est dépeuplé.
Condoléances à ce Monsieur.