Histoire de Lyon 6ème. Du divertissement à l’embourgeoisement en 150 ans

12 décembre, 2016 | POLITIQUE | 0 commentaires

Allons aux Brotteaux

Ma mie Jeanne

Allons aux Broteaux

Car il y fait beau

Nous y mangerons

Une salade,

 Nous y danserons

 Un rigaudon.

La chanson court volontiers sur les lèvres de tout bon Lyonnais des années 1780 désignant, avec un ou deux t, c’est selon, une zone extérieure à la millénaire et digne cité, longtemps isolée de cette dernière par le violent et envahissant fleuve Rhône, de surcroit des siècles durant en terre étrangère. Une zone terreuse, boueuse, passant pour dangereuse et mal famée. Or un homme vient de briser cette cassure et cette démesure ayant réussi, après des années de démarches, de propositions, de discussions, de tergiversations, d’oppositions et d’intrigues, à obtenir l’autorisation royale de lancer un pont, le deuxième seulement sur le Rhône à Lyon, pour relier les deux rives du puissant fleuve. Et de permettre par là le passage de l’une à l’autre… les pieds à sec. Pour les marchands, hommes d’affaires, banquiers et entrepreneurs lyonnais cherchant des terrains à exploiter ou à construire ; pour les voyageurs venant des Savoie et voulant gagner l’ouest de la France…  comme pour les bestiaux et produits aussi divers que variés de la rive gauche, que l’on vient vendre en terre lyonnaise. Une page vient de se tourner grâce au sieur Jean-Antoine Morand, un artiste, ingénieur, architecte, urbaniste mais pas un gone lui-même : c’est un enfant de Briançon, qui toutefois mourra à Lyon, dramatiquement, dans les affres de la Révolution française. Il y sera guillotiné en janvier 1794.

Une Lyonnaise dans les airs

Les Brotteaux ! Des générations de chroniqueurs et d’historiens se sont penchés sur l’origine du terme. La version qui semble devoir l’emporter et celle du mot d’origine populaire « brout » ou « brot » désignant la jeune pousse des taillis au printemps. Le français moderne a conservé brouter et broussailles. Pour sa part, le parler lyonnais a conservé broteau et broteaux, longtemps avec un seul t, désignant volontiers des zones mêlant l’eau et la terre. Et Lyon n’en manque pas ! Ainsi, les textes anciens parlent des broteaux de la Tête-d’Or, des broteaux de la Mouche à Gerland, du broteau d’Ainay, alors le confluent entre Rhône et Saône… Du coup, le terme est tout désigné pour qualifier cette grande zone de terre et d’eau, longtemps située sur la paroisse de la Guillotière en Dauphiné, mêlant des terrains vagues inondables où poussent des saules, quelques champs cultivés et même une ferme, celle de la Tête d’Or, installée depuis le XVIè siècle. Puis vient l’époque où de nombreux legs des propriétaires locaux font passer bien des terres dans la (pieuse) escarcelle de l’Aumône générale, entendons par là la structure caritative et médicale qui fut pendant des siècles le grand organisme de l’assistance des pauvres, ancêtre de l’Assistance Publique à Lyon et à l’origine de l’Hôtel-Dieu et de l’hôpital de la Charité. Une structure devenue en 1802 les Hospices civils de Lyon. Une structure qui installe alors plusieurs bacs à traille, évidemment payants, entre les deux rives, juste en face du quartier des Terreaux, siège de la puissance municipale lyonnaise. Le pont en bois construit en 1774 par Morand, tout aussi payant, va donc faciliter le transit. Bref tout change. De grandes allées sont tracées, ancêtres des rues actuelles comme le cours Morand (aujourd’hui Franklin-Roosevelt). On s’y promène, on s’y arrête dans les guinguettes, on y déguste, on assiste à des spectacles forains, à des bals, à des courses de chevaux, on y fait des rencontres… Là, des montgolfières s’élèvent aussi plusieurs fois au ciel, dans la foulée de celle du 19 janvier 1784 qui emmène dans les airs l’inventeur Montgolfier et sept autres passagers, mais également l’ascension du 4 juin 1784 faite en présence du roi Gustave III de Suède et dont l’un des deux passagers est une Lyonnaise alors âgée de 19 ans, Elisabeth Thible, chanteuse d’opéra. La première femme à avoir effectué un vol en ballon à gaz… ce qui lui valut le surnom de la « nymphe aérostatique ».

Les chapelles des martyrs de la Révolution, rue de Créqui. La petite pyramide a été remontée à l'identique au cimetière de Loyasse

Les chapelles des martyrs de la Révolution, rue de Créqui. La petite pyramide a été remontée à l’identique au cimetière de Loyasse

Une nouvelle vie

La Révolution modifie brutalement la donne : le 30 mai 1790 a lieu dans la plaine des Brotteaux… à l’emplacement du Tennis Club de Lyon situé sur Villeurbanne, la première fête de la Fédération, symbole de l’union proclamée des Lyonnais face à la France nouvelle en train de naître. Mais la suite est tragique : après la prise de la ville en révolte par les armées de la Convention parisienne, les 4 et 5 décembre 1793, 209 Lyonnais condamnés à mort sont tués par mitraille, achevés à l’arme blanche et enterrés dans une fosse commune. Aujourd’hui encore, une chapelle expiatoire, la seconde, sorte d’ossuaire de la terreur où reposent les restes des victimes, rappelle ce sinistre évènement, rue de Créqui. L’Empire restabilise les choses. Les affaires repartent. Aux Brotteaux, les balades reprennent, les guinguettes reviennent, les spectacles aussi via tout un monde de loisirs mêlant stands de tir, café-concerts, restaurants, chevaux de bois, jeux de boules et les fameuses Montagnes russes très appréciées. Là aussi va naître entre les mains de son jeune créateur Laurent Mourguet, la plus célèbres des marionnettes : Guignol.

Tout autour, les terrains se construisent, mais l’activité doit compter avec un dur handicap : les multiples et terribles inondations du fougueux Rhône telles celles de 1840 et de 1856, qui vont recouvrir d’eau l’ensemble de la rive gauche. Sous la ferme direction du préfet Vaïsse, le Haussmann lyonnais, qui vient justement d’installer et d’ouvrir au nord l’imposant et superbe parc de la Tête d’Or, toujours resplendissant de nos jours, l’Etat impérial lance des actions d’urbanisme avec construction d’un nouveau bâti plus élaboré, plus moderne, doublant les ateliers industriels par tout un monde de bâtiments, des villas aux magasins telles les restaurants et brasseries. Désormais lyonnais à part entière depuis 1852, devenu le 6e arrondissement en 1867, couvrant 760 hectares, le quartier des Brotteaux commence une nouvelle vie.

De larges rues s’ouvrent comme le boulevard du Nord (aujourd’hui bd des Belges), de nouvelles écoles sont construites à commencer par le Lycée du Parc élevé sur d’anciennes fortifications et qui devient une référence en la matière, mais aussi l’Institution de jeunes filles de la rue Vendôme et le lycée Edgard Quinet, aujourd’hui lycée Edouard-Herriot, le premier ouvert pour les filles à Lyon. Au nord de l’ancienne église Saint-Pothin, de nouveaux lieux de cultes sont également édifiés. Signe des temps : deux gares se succèdent toutes proches, reliant Lyon à Genève, la deuxième jouant à fond la carte de la modernité façon Belle Epoque. Tout autour, un monde de nouveaux immeubles à l’architecture choisie et élaborée abrite des hôtels de luxe comme l’hôtel Lugdunum et le grand hôtel Piolat ainsi que nombre de cafés et restaurants. De son côté, un gone industriel, voyageur et collectionneur, Emile Guimet, va offrir aux Brotteaux et donc à Lyon un nouveau musée. Avec des problèmes relationnels qui feront un moment du lieu… un palais des Glaces. Car si le 6e arrondissement se veut par définition un quartier chic, il ne se veut pas un quartier triste. Les vogues ont toujours leur place et leur succès, comme sur la place Saint-Pothin. On court voir les spectacles de l’Olympia, rue Duquesne, tout près du Parc… désormais doté de grandes grilles ouvragées et fermées la nuit, afin d’éviter les rencontres de toutes sortes, et non loin du fameux restaurant de la Mère Fillioux, pionnière de la restauration lyonnaise qui formera une grande dame en la matière : Eugénie Brazier.  On entre également volontiers à la majestueuse Brasserie du Parc devenue ensuite le cinéma Astoria, avant d’être démolie par Charles Mérieux et remplacée par un banal immeuble pour célibataires… (cf Lyon People, juin 2016).

Palais de la Foire en 1937 - Épreuve du Bac

Palais de la Foire en 1937 – Épreuve du Bac

D’une foire à l’autre

Mais une autre composante va apporter son label au noble sixième arrondissement : la Foire de Lyon, créée en 1916 et installée là. Il y a des antécédents : le Parc de la Tête d’Or a déjà reçu deux des trois expositions internationales qui se sont tenues à Lyon. Celle de 1872, qui s’est plutôt mal finie financièrement. Celle de 1894, mieux conçue avec l’aide la Chambre de Commerce et d’Industrie, mais entachée par l’assassinat du président de la République Sadi Carnot, venu non pas l’inaugurer mais la visiter. C’est pendant la Grange Guerre et pour contrebalancer l’action internationale des foires allemandes, que Lyon a l’idée de créer sa propre foire. Les Brotteaux sont le site choisi. D’abord promptement sur des stands installés sur les places et quais alentour. Plus tard et plus durablement sur le vaste espace et dans l’imposant palais construit en bordure de Rhône. Un vaste palais qui peut aussi, à l’occasion, abriter les élèves passant le bac (photo ci-dessus). Aujourd’hui, la Foire de Lyon est partie à l’Est, on a beaucoup déconstruit pour ne pas dire rasé, on a réhabilité certains éléments et élevé des nouveaux : la Cité internationale de Renzo Piano est née sous l’impulsion de Francisque Collomb puis de Raymond Barre. Le souvenir de la Foire est resté.

Gérard Corneloup
Vous aimez l’histoire de Lyon ? Participez à l’élaboration de notre dossier spécial consacré à l’avenue Foch (ex avenue de Noailles)

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Marco Polisson

Rédacteur en chef
Co-fondateur du magazine.
En charge de la rédaction et responsable des partenariats.
Délégué à la protection des données RGPD

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