Ces dix dernières
années voient la consécration de votre carrière politique avec plusieurs
postes ministériels. Quel est celui qui vous le plus marqué ?
C'est le Ministère de la Justice. Parce qu'humainement c'est très dur... il
y a beaucoup de problèmes qui s'imposent au ministre souvent par
surprise ! Mais surtout car on touche à toutes les difficultés de
l'humain... qu'il s'agisse de la justice pénale, des problèmes de
délinquance, de la jeunesse délinquante qui m'ont beaucoup interpellé ! Ce
sont des gens complètement décalés, sans repères mais qui donnent en même
temps le sentiment d'appeler à l'aide ! C'est très compliqué ! Ils ont
fait toutes les conneries et le mot est faible : j'ai rencontré des jeunes
qui avaient des parcours invraisemblables ! Et en même temps ils voulaient
parler avec moi, il y avait comme une espèce d'appel au secours du
genre : « donnez-moi les moyens d'en sortir ». Et ça, c'est très dur.
Quel regard portez-vous sur le monde carcéral ?
La pénitentiaire, j'y ai consacré beaucoup d'énergie car j'étais très
impressionné et très choqué par l'état des prisons... J'ai d'ailleurs tout
fait pour qu'on règle le problème des prisons lyonnaises et nous l'avons
réglé. Pour Saint Paul, la prison pour mineur est bientôt finie et la
prison pour adultes sera finie fin 2008 début 2009. On pourra fermer Saint
Paul/ Saint Joseph à ce moment-là. Je me suis beaucoup impliqué là-dedans,
j'ai fait en sorte que les mineurs ne soient plus mélangés avec les
adultes. Et puis il y a toute la justice civile. J'ai fait la réforme du
divorce, des successions... il y a une telle charge affective, humaine dans
le job, c'est terrible. En fait, je croyais connaître la vie avant d'être
ministre de la justice, et en étant ministre de la justice, j'ai compris
que je ne connaissais rien ! Ça va même plus loin que ça... quand vous avez
connaissance de ce que c'est un ministre de la justice, vous vous reposez
des questions du genre « est-ce que le mal existe ? ».
Nico : Pourtant, Elisabeth Guigou on n'a pas l'impression que ça l'ait
changée...
Ah, le pouvoir des êtres... (rires) Le pire est toujours possible, on
ne sort pas indemne de la Chancellerie, enfin humainement. Moi, j'y ai
travaillé comme une bourrique, j'étais passionné, j'ai rencontré des gens
formidables, mais aussi des abominations, mais je ne regrette pas... c'était
une expérience humaine extraordinaire. Je m'étais fixé comme règle de
visiter tous les mois une prison, et je l'ai fait ! En un peu plus de
trois ans, vous voyez le nombre de prisons que j'ai visitées ! Mais je
l'ai fait car je voulais savoir, comprendre et faire bouger les choses !
Vous ne traitez plus les dossiers de la même manière quand vous vous
obligez à faire ça. Mais après vous comprenez les choses... les personnels
de la pénitentiaire, ils savaient que je savais et je les comprenais aussi
les détenus d'une certaine façon.
Comment jugez-vous Monsieur Clément vous successeur ?
Il y a une règle absolue : un ministre ne juge jamais son successeur !
C'est impossible, comme son prédécesseur ! On ne parle jamais d'avant et
d'après !
Vous êtes
actuellement ministre des Transports et de la SNCF... ce qui rime avec voie
de garage ! Comment avez-vous vécu cette rétrogradation ?
Je ne l'ai pas du tout vécu comme une rétrogradation. C'est un tout autre
métier, beaucoup plus compatible avec un engagement politique à Lyon. En
fait le ministère de la Justice c'était un ministère, que j'ai beaucoup
aimé, mais qui risquait de m'enfermer dans une image un peu dure car j'ai
été amené à faire passer des textes qui ont renforcé les moyens de la
justice et des forces de sécurité. Je m'enfermais un peu dans un rôle,
dans une image de dureté, de fermeté, d'austérité,... et puis le Garde des
Sceaux c'est le gardien du temple, c'est une image de distance,
d'éloignement, c'est la Justice, ce sont des choses dont les gens ont
peur. D'ailleurs, la plupart des Gardes des Sceaux ont explosé en vol...
Suite de l'interview
|