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 Dans l'antichambre de Michel Le Royer 
  Photo © Jean-Luc Mège
 
Par Nadine Fageol 
  
Comédien dans l'âme, il 
conte son histoire sans relâche dans son duplex noir et blanc dans la rue des 
voyous. Il joue de son grand âge avec facétie, déclame un amour sans faille à 
Delon, adore la belle Frédérique de Mortain et prête sa voix à Lock, le chauve 
gourou dans la version française de Lost portés disparu ! Sa vie n'est que coups 
de théâtre.  
  
Dans le bel immeuble à galeries, la porte s'ouvre sur un 
rideau rouge prophétique. Nous voilà chez Michel Le Royer, comédien en 
verve, enfant de la Comédie Francaise, théâtreux de première et théâtral tout 
court. Son coquet duplex rue Mercière livre d'emblée quelques clefs, toiles et 
sculptures peu conformistes pour le côté érudit détaché et miroirs, trois de 
style différent, de classique à contemporain en passant par baroque pour l'égo, 
sachant que l'objectif du miroir en déco est de pousser les murs, renvoyer des 
reflets. Ceux de Michel le Royer sont blonds, longs et apprivoisés en un carré 
par Jérôme Romanyck, son merveilleux coiffeur de l'avenue de Saxe. Dans 
son complet noir, genre homme de pub, Le Royer abuse des adjectifs, comte mille 
et une petites histoires en prenant soin d'entretenir l'entretien au champagne. 
Il attaque sur le thème mourir sur scène, argumentant que personne n'y est 
arrivé, pas même Molière. À 73 ans, lui a déjà sa petite idée, « mourir 
en courant » ce qu'il fait chaque week-end avec sa compagne Frédérique, 
filant jusqu'à l'île Barbe, se régaler et rigoler chez « Jokteur » et 
retour à la case départ.   
  
La vie de Le Royer vaut assurément un livre, il livre tout 
à trac, son enfance normande, grand père héros de guerre, grand-mère célèbre 
fromagère à Paris, papa et maman garagistes... Normale l'envie de ce passionné de 
nature de devenir vétérinaire mais il y a la guerre, et lorsqu'il voit en 44 
« les Allemands partir sous un déluge de bombes » il est évident que rien n'est 
plus important que vivre. À Paris, moitié Poulbot, moitié Gavroche, il donne 
entre autres la réplique à un camarade lors d'une audition. Premier déclic. « Si 
tu crèves de faim ne revient pas demander à manger », Papa goûte peu ses 
envies de saltimbanque. Alors va pour la chambre de bonne, les petits boulots et 
l'entrée chez France-Soir. Il devient télégraphiste attitré du 
journaliste sportif Gaston Bênac. Il articule bien, ose sa propre prose 
censurée car trop longue. Il attaque les cours de théâtre avec Henry Bosc 
et présente le Conservatoire national d'art dramatique en 1952. Belmondo,
Cremer, Marielle, Rich... « J'étais le plus ringard de 
tous, impossible d'ânonner derrière eux ». Pourtant il a une jolie gueule et 
du talent récompensé d'un premier et second prix. En 1957, le voilà pensionnaire 
de la Comédie Française. « On peut dire que je suis à confesse avec vous, 
j'étais un jeune con et si j'ai été vraiment chiant, j'en demande pardon ». 
Non seulement Le Royer démissionne cinq ans plus tard de la maison, mais refuse 
l'invitation d'un Jacques Demy lui tendant les bras pour « Lola » et s'en 
va tourner « Lafayette ! » « Je me suis brûlé comme un papillon », donne 
néanmoins la réplique et fait office de leurre à Gérard Philippe harcelé 
par les filles. 
  
En 1955, par le truchement de Lerrant et Mure,
Charles Gantillon l'engage à Lyon pour jouer les classiques aux 
Célestins. Après le suicide du mécène fauché, en hommage il accepte de jouer 18 
représentations mais la mairie oublie de lui régler 8 000 francs d'arriérés. « Je 
suis un épouvantable snob » dit-il dans son séjour noir et blanc. Il glisse 
la tête par la fenêtre ouvrant sur la rue des voyous et appelle sa belle 
rencontrée dans un TGV. « Quand je l'ai vue dans la voiture-bar, je me suis 
dit c'est elle, mais comment faire ? ». Elle le voit, et ose « vous ne 
seriez pas Michel Le Royer ? » Lui, déjà aux anges. Il n'a quand même pas tout 
raté le bonhomme truculent limite autiste car quand il ne veut pas répondre, il 
élague en faisant le sourdingue ! Joueur qui peste contre « le drame du 
théâtre n'est pas le in ou le of, c'est qu'il n'y a plus de troupes pour écrire 
une uvre en respectant les auteurs. À droite ou à gauche, on n'a rien fait.  
Les politiques sont carriéristes, une profession refuge ».  
  
Entre deux déclarations d'amour à Delon « un 
travailleur et moi un rêveur, je luis dis merci, tout récemment il m'a embrassé 
comme du bon pain», il nous raconte pratiquer le doublage vocal et alors là 
jackpot. Le chauve handicapé rescapé de l'avion dans « Lost, portés disparus », 
si si la série culte. La voix du chauve devenu moitié gourou depuis qu'il a 
retrouvé ses jambes et ben c'est celle de notre Le Royer, raide amoureux de 
Frédérique de Mortain, spécialiste de la communication pour cosmétiques de 
luxe ! Valsant avec les représentations du « Mariage de Figaro » au théâtre du 
Nord Ouest il s'apprête à partir en tournée avec « Cher Edouard » de Bruno 
Audouard, « une pièce, non du champagne » et la longiligne Frédérique 
de sortir une bouteille de château chalons. Tout compte fait Le Royer n'a peur 
de rien, abusant de son grand âge pour lancer quelques scud « Malkani n'est 
pas le monstre que l'on veut croire, avec lui on a repris la ville de Levallois 
aux communistes ». Dans l'une de ses vies Le Royer a été conseiller 
municipal. À part ça, il fait des cures de raisins, de fruits et légumes de 
saison antioxydants à hautes doses, cultive une grande amitié pour Orsi, 
ne jure que par Béatrice Denis des Négociants, s'habille chez Monsieur 
Georges au Sofitel... Il aimera longtemps Fred avec qu'il a retapé le duplex 
en piteux état aujourd'hui peuplé de souvenirs de voyage, comme le lustre ramené 
en pièces détachées de New York ou la sculpture pleine de zigouigouis colorés. 
 
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