Le photographe Jean-Luc Mège à Calcutta
Voila déjà presque 4 jours que nous avons touche le sol indien.
Température extérieure agréable, (entre 20 et 27 degrés), nuits
fraîches, mais rien à voir avec la moiteur du Cambodge et son humidité
qui collait à la peau... Pourvu que cela dure ; c'est sûr dans deux
semaines cela sera sans doute bien différent. En attendant, Calcutta
dont nous parlions depuis quelques mois déjà, nous ait enfin apparu un
matin par les vitres du taxi suicidaire qui se chargeât de nous faire
oublier très très vite nos repères occidentaux... Apres avoir évité de
justesse une demi-douzaine de rickshaws, deux camions et de très
nombreux piétons, la chose était avérée : welcome in Kolcata my friend...
Première impression : le bruit ; cette ville n'est pas bruyante : c'est
largement plus que cela... Au minimum, elle est fatigante, au pire, elle
est tuante. Sans jeu de mots... Ici on apprend à klaxonner avant même de
savoir lire, on apprend à brailler avant même de savoir manger... Bref.
Imaginez un vacarme assourdissant qui commencerait à 7 h du matin et qui
ne finirait que tard dans la nuit... On klaxonne pour un rien, et comme
il se passe toujours quelque chose, on klaxonne sans interruption de
l'aube au coucher du soleil... Comme il est toujours difficile de vous
faire comprendre un tel état des choses, j'ai réalisé quelques petits
enregistrements que je tâcherai de vous envoyer...
Seconde impression, et l'une n'allant pas sans l'autre, la pagaille et
l'anarchie totale qui règne ici. Deuxième ville de l'Inde avec environ
14 million d'habitants, si Bombay s'en sort à peu près en respectant un
minimum de règles de circulation, à Calcutta règne seulement la loi du
plus fort... Beaucoup de voitures à bras tirés par de misérables âmes
les pieds nus, des taxi-vélos bariolés, des rickshaws qui tiennent par
trois vis (Vespa devant, banquette à l'arrière, le tout dans une petite
cabine), des camionnettes-voitures éléphants à trois roues, et des
milliers de taxis jaunes tout droit sortis des albums de Tintin (en
réalité des Austin Ambassador des années 50 qui n'ont pas évolué d'un
iota et qui continuent à être fabriquées en série...), des camions
tellement trafiqués qu'ils sont dans un état proche de « La cabane au
fond du jardin » de Cabrel et évidement des cars, ou des bus, ou plutôt
des "s'enfoulamort" qui jouent a faire la course pour attraper un
maximum de passagers, le tout, évidemment, sans s'arrêter... Autant dire
que circuler, même à pied, relève de la roulette russe... Avant de
traverser chaque rue, la prière est obligatoire... Pas ou peu de feux et
une pollution absolument démoniaque, même s'il est surprenant de
constater que les taxis coupent leur moteur à chaque fois qu'ils se
retrouvent coincés dans l'un des nombreux embouteillages... Voila notre
quotidien. Du bruit, du bruit, de la poussière et encore du bruit.
Le choix de l'hôtel a alors été décisif... Apres avoir passé deux nuits
dans un gourbi humide, bruyant et à la propreté plus que douteuse, j'ai
fini par dégoter "la perle des perles" dans une rue minuscule avec une
chambre plutôt clean, et luxe suprême, un peu d'eau chaude... Seule
petit "hic", je suis juste à côté d'une mosquée, à côté d'un jardin
rempli de corbeaux (croak croak croak croak...) et pas très loin d'une
réplique de l'horloge Big Ben... Si j'ai laissé tombé côté Big Ben, je
vais finir par faire la peau à ces putains de corbeaux qui ne s'arrêtent
pas même la nuit, et je vais aller expliquer au Muézin que l'on a pas
tout a fait les mêmes horaires de réveil... 4 heures 30 tous les matins,
c'est bien, mais s'il pouvait pousser au moins jusqu'a 6, ce serait
mieux... Inch Allah... Sinon, c'est plutôt calme...
Calcutta est une ville qui semble ne jamais s'arrêter ; à toutes heures
les moindres ruelles sont pleines d'un flot ininterrompu qui s'active
dans tous les sens... Les rues sont d'une saleté repoussante car on y
jette aussi tout ce qui ne sert plus. On s'y lave, on y travaille, on y
mange, on y fait ses besoins, on y dort et parfois aussi, on y meurt. A
chaque coin de rue, un mendiant, tantôt atrocement déformé par la polio,
tantôt un enfant le nez morveux et les cheveux rasés attaqués par les
poux quand son visage ne l'est pas par la galle... Et pourtant, à chaque
coin de rue, vous me croirez si vous pouvez l'imaginer, il y a toujours
un sourire... Même le plus pauvre des pauvres dans l'infinie détresse de
sa misère trouvera toujours la force de vous sourire et de vous murmurer
quelques mots... « Hello, hello... » Parce que Calcutta, c'est
aussi la "Cité de la Joie" et que la joie semble être dans tout être,
même s'il doit mourir demain...
Jean-Luc
Mège, le 23 février 2007